1. Tableau d’ensemble

Deux grands ensembles de paysages

Les Hauts et les bas

Concrètement, comment s’organise cette merveilleuse diversité paysagère sur l’île ? Comment s’enchaînent les paysages, du nord au sud, d’est en ouest et de bas en hauts ?
Pâturages dans les Hauts.
Station balnéaire dans les Bas, Saint-Gilles-les-Bains, 2022.

Traditionnellement, on distingue deux grands ensembles de paysages à La Réunion : les Hauts et les Bas. Les Hauts sont moins habités que les Bas, plus naturels et plus sauvages d’aspect, présentent des reliefs plus importants, plus marqués, plus irréguliers, disposent de terres plus boisées et moins cultivées, offrent un climat plus nébuleux et globalement davantage pluvieux.

À l’inverse les Bas concentrent l’essentiel du poids de population et le cortège de l’urbanisation qui en découle : habitat, activités, infrastructures. Ils sont aussi davantage cultivés, notamment en canne à sucre, sur des pentes à peu près régulières des bas de planèzes ; ils bénéficient d’un climat globalement moins arrosé que les Hauts, plus ensoleillé, même si des différences climatiques très fortes distinguent les Bas de l’est des Bas de l’ouest ; ils s’achèvent sur un littoral.

Ces différences très marquées entre Hauts et Bas ne sont pas liées qu’aux données naturelles géographiques, mais également aux données humaines historiques, qui se traduisent dans les champs sociologiques et économiques. Le fait historique générateur de la distinction si marquée entre Hauts et Bas est la concession par le Roi des terres basses, par le truchement de la Compagnie des Indes : la mise en valeur de l’île Bourbon a été encouragée par la concession des terres « du battant des lames au sommet des montagnes », qui a conduit à privatiser les terres basses et à maintenir les Hauts dans la sphère publique, propriété de l’État puis du Département, géré par l’ONF et, depuis le 05 mars 2007, dans le giron du Parc National/UNESCO. Les Hauts ont été progressivement occupés par les « noirs marrons » (esclaves évadés, réfugiés dans la montagne, et premiers occupants des îlets) et par les « petits blancs des hauts » : ces blancs ont été appauvris par un double processus :

Au fil du temps, l’opposition entre les paysages des Hauts et ceux des Bas tend à se renforcer, avec des Bas de plus en plus artificialisés et des Hauts de plus en plus sanctuarisés.

En termes de paysage, l’opposition Hauts/Bas apparaît ainsi globalement fondamentale et renforcée par les délimitations administratives, y compris les plus récentes avec la création du Parc National et l’inscription UNESCO.

« Depuis 2010, le Parc National de La Réunion figure sur la liste des biens naturels inscrits au Patrimoine Mondial par l’Unesco… Et à juste titre ! Ce magnifique espace naturel est né d’une volonté commune entre les acteurs locaux, nationaux mais aussi internationaux de préserver la diversité naturelle des Hauts de l’île. Plus précisément, ce sont les “Pitons, cirques et remparts” réunionnais qui font figure de valeur universelle exceptionnelle pour la liste de l’Unesco. » reunion.fr

Néanmoins les appellations « Hauts /Bas » présentent quelques imperfections en faisant référence à l’altitude.

Si celle-ci reste le facteur principal de différenciation en influant sur la fraîcheur, la nébulosité, la végétation, les possibilités de mise en culture, elle n’est pas seule à intervenir. On peut se sentir très loin du littoral, et dans une toute autre ambiance, tout en restant objectivement très bas en altitude. L’étude des paysages de 1994 le dit : « au fond de Bras Rouge, dans le cirque de Cilaos, on peut être à 300 – 400 m d’altitude seulement, et l’on est pourtant à l’évidence dans ce que l’on appelle « les Hauts ». Les pentes du Grand Brûlé sont à leur manière des paysages des Hauts qui tombent jusqu’au niveau zéro de l’Océan. C’est d’ailleurs le seul endroit où le Parc National atteint la mer. Inversement il faut remonter très en altitude sur les pentes de l’Ouest avant de parcourir des paysages que l’on dit appartenir aux « Hauts ».

C’est pourquoi il est possible d’enrichir la distinction Hauts/Bas par une autre distinction duale : La Réunion des pentes extérieures et La Réunion intérieure.

La Réunion intérieure
et La Réunion des pentes extérieures

La Réunion des pentes extérieures, tournées vers l’océan. Ici, au-dessus de Sainte-Anne.
La Réunion intérieure, celle des hautes plaines, du volcan, des cirques et des pitons. Ici la Plaine des Cafres.
La distinction entre Réunion intérieure et Réunion extérieure est liée à la nature volcanique de l’île et à son histoire géologique :
Cette distinction a été déjà précisée dans l’étude des paysages de 1994 : « il reste de façon primordiale pour la Réunion un visage qui s’offre au miroir de l’océan et un cœur qui fait son épaisseur et son mystère ». Chacun de ces deux grands ensembles est composé de paysages distincts détaillés ci-dessous.

Les paysages des pentes extérieures
de La Réunion

Les pentes extérieures de La Réunion s’organisent en dix grandes unités, évoquées ci‑dessous dans le sens des aiguilles d’une montre en partant de Saint‑Denis.

Les pentes de Saint-Denis, depuis la route de la Montagne, 2022.

Les pentes de Saint-Denis, marquées par l’urbanisation entrecoupée de ravines serrées, qui découpent autant de quartiers urbains.

Les pentes du Nord-est (de Sainte-Marie à Bras-Panon en passant par Sainte-Suzanne et Saint-André), encore marquées par les grands domaines de canne à sucre qui s’allongent élégamment en bas de pente, jusqu’à l’océan.

Les pentes de Saint-Benoît, où s’opère la transition entre le massif ancien du Piton des Neiges et le massif plus récent du Piton de la Fournaise, par la couture que représente la plaine des Palmistes.

Les pentes de Sainte-Rose et Saint-Philippe, ou pentes de l’Est, les plus calmes et sauvages de l’île, qui échappent au trafic de transit, et qui composent le « dessous du volcan », avec en leur cœur le Grande Brûlé marqué par les longs épanchements des coulées volcaniques du Piton de la Fournaise vers l’océan.

Les pentes du Sud, de Saint-Joseph à Saint-Pierre en passant par Petite-Ile, marquées par des pitons arrondis cultivés et boisés, et ourlées d’une côte où s’affrontent le basalte noir et l’océan bleu dans de lumineux contrastes.

Les pentes du Tampon, marquées par l’urbanisation, rendue « facile » par des pentes longues et pas trop raides, descendant régulièrement de la Plaine des Cafres à l’océan.

Les pentes de Saint-Louis, qui descendent en serres boisées spectaculaires des Makes et du Dimitile, pour s’épanouir en plaine littorale à la fois urbaine et agricole (plaine du Gol).

Les pentes de l’Ouest, les plus longues et régulières de l’île, courant de 0 à 2900 m d’altitude (Grand Bénare), aux côtes urbanisées en stations balnéaires et baignées en partie par les eaux du lagon, aux paysages plus secs, en mutation avec la pression d’urbanisation, la mise en culture des terres par irrigation et la route des Tamarins.

Les pentes de Saint-Paul/le Port/ la Possession, tournées vers les baies de Saint-Paul et de la Possession de part et d’autre de la plaine du Port, marquées par l’urbanisation dans les bas et par l’échancrure vers Mafate que forme la rivière des Galets.

Les pentes de la Montagne, où des falaises de 150 m de hauteur tombent directement dans l’océan, formant une coupure entre le nord et l’ouest de l’île, reliés par le cordon ombilical vital et fragile que constitue la « route du Littoral ».

Pour chacune de ces pentes, qui forment comme une tranche du vaste cône que constitue l’île posée dans l’océan, les paysages vont varier en sous-unités selon l’occupation des sols, elle-même largement dépendante de l’altitude. Globalement, chaque unité paysagère s’organise en une plaine littorale, marquée par l’urbanisation des villes principales de l’île, des mi-pentes ou pentes intermédiaires, largement cultivées, et des hauts, majoritairement boisés, parfois également cultivés ou pâturés.

Mais ce schéma n’est pas valable partout, et les exceptions contribuent à la diversité paysagère de l’île. Ainsi les pentes de La Montagne s’achèvent en hautes falaises maritimes qui ne laissent aucune place à la moindre plaine littorale, compliquant les communications entre nord et ouest de l’île par les fameuses « route du littoral » et désormais “nouvelle route du littoral” (NRL). Au cœur des pentes de Sainte-Rose et Saint-Philippe, le Grand-Brûlé, par où s’écoule vers l’océan l’essentiel des laves du Piton de la Fournaise, apparaît comme un paysage des hauts projeté sur le littoral, sans que s’établisse la traditionnelle distinction bas/mi-pentes/hauts. Il est symptomatique que, à cet endroit précis, le Parc National ait choisi finalement d’abaisser sa limite jusqu’à l’océan.

Les paysages de
La Réunion intérieure

Les grands paysages de La Réunion intérieure sont ceux des grands cirques, du massif du volcan, des hautes plaines. Ils sont organisés autour du Piton des Neiges, plus haut sommet, trônant au cœur de l’île à 3070m d’altitude. Les unités sont facilement discernables par les cassures de pentes souvent spectaculaires qui les séparent brutalement les unes des autres. Les paysages de la Réunion intérieure sont ceux qui rendent l’île subjectivement grande malgré sa taille objectivement réduite : ils abstraient le regard de l’océan, leurs reliefs engloutissent l’observateur au point de lui faire oublier l’insularité de l’île ; et ils agrandissent l’île en allongeant les temps de parcours. C’est pourquoi un survol de la Réunion par hélicoptère, qui nous libère de toute contingence topographique et nous redonne un regard d’ensemble, ramène cruellement l’île à ce qu’elle est : une poussière volcanique dans l’immensité de l’océan.

Sept unités de « paysages intérieurs » peuvent être distinguées

Le cirque de Salazie, drainé par la rivière du Mât, qui tire son originalité de son corridor d’entrée, spectaculaire et luxuriant, et de son patrimoine bâti niché au fond du cirque à Hell-Bourg.

Le cirque de Mafate, plus sauvage grâce à l’absence de route, spectaculaire par l’âpreté de ses reliefs ruiniformes, et émouvant par ses surprenants îlets habités, suspendus entre ciel et terre.

Le cirque de Cilaos, dont l’exutoire est la rivière Saint-Etienne, qui offre des paysages plus secs et plus lumineux, mais aussi plus animés grâce à l’activité touristique intense de Cilaos liée à la montagne.

Les forêts de Bébour-Bélouve, ancien cirque comblé par les coulées de lave, baigné par l’humidité de l’air et couvert de forêts, dont la forêt primaire de Bébour.

Le massif du volcan, volontiers mystérieux en se drapant presque quotidiennement dans les nuages, offrant d’étranges paysages d’origine du monde, marqués par le minéral : les sables, les scories et les coulées de basalte.

La plaine des Cafres, étonnant plateau d’altitude, aux accents auvergnats pour certains, couture entre volcan ancien et volcan actif, piqué de cônes volcaniques et investi par l’élevage.

La plaine des Palmistes, en contrebas de la plaine des Cafres, qui prolonge la couture entre Piton des Neiges et Piton de la Fournaise et qui accueille l’urbanisation longuement étirée du bourg de la Plaine-des-Palmistes.

Et le Piton des Neiges ?

La silhouette en dentelle du Piton des Neiges, vue du sud, depuis l’entrée du cirque de Cilaos. De gauche à droite : le Grand Bénare, le col du Taïbit, le Gros Morne, le Piton des Neiges.
Le profil en nez du Piton des Neiges, côté ouest, vu de la plaine des Cafres. A gauche la pente dégringole vers le cirque de Salazie.
Aux sept unités intérieures s’ajoute le Piton des Neiges, plus haut sommet de l’île. C’est le père de La Réunion, dans la mesure où il représente l’ultime pan de montagne du premier volcan constitutif de l’île, encore debout au milieu des ruines. Dressé à la croisée des trois cirques d’effondrement, et visible (par temps clair) de toutes les hauteurs, sa belle silhouette change beaucoup selon le point cardinal que l’on adopte. Elle est plus allongée et plus spectaculaire vue du nord et du sud, plus ramassée en nez vue de l’est et de l’ouest ; mais elle est partout impressionnante du fait de la raideur de ses pentes en remparts subverticaux. C’est bien cette étroitesse escarpée et cette absence d’intériorité qui font du Piton des Neiges un horizon de paysages plutôt qu’une unité de paysage en soi :

Paysages intérieurs / paysages extérieurs :
les éléments de complexification

Si l’organisation fondatrice des paysages de La Réunion est simple, avec un visage extérieur et un cœur intérieur, plusieurs micro- paysages viennent enrichir et complexifier cette dualité.

Grandes ravines, petites plaines et cirques miniatures : des intérieurs à l’extérieur

Façonnées par les failles, les zones d’effondrement et la puissance de l’érosion, les pentes extérieures de la Réunion accueillent linéairement ou ponctuellement des paysages intérieurs souvent spectaculaires et inattendus, qui forment autant de sites précieux, enrichissant la diversité contrastée des paysages de l’île. Ces accidents morphologiques sont de trois types : les grandes ravines, les petites plaines et les cirques miniatures.
Les gorges du Bras de la Plaine, vues depuis Bras de Pontho.
La rivière des Remparts, vue depuis Notre-Dame de la Paix.

Les grandes ravines​

Le site de Takamaka.

Les ravines qui sillonnent les pentes extérieures de l’île sont légion. Chacune offre des milieux et des ambiances radicalement différents de celles des pentes, grâce aux remparts (falaises) qui les enserrent en creux, et à la végétation arborée, souvent naturelle et précieuse, qui y trouve encore refuge. Certaines ravines atteignent des dimensions telles qu’elles forment de véritables paysages intérieurs, absorbant complètement le visiteur dans un monde propre, à la fois intime et grandiose, composé de hauts remparts, de végétation épanouie et diversifiée, de lits de rivières encombrés de spectaculaires chaos de rochers basaltiques, d’eau courant en torrents ou dormant en bassins, selon les ravines et les saisons. À l’approche des plaines littorales, certaines sont cultivées, formant comme des cornes d’abondance où s’épanouissent des jardins et vergers remarquables dans les fonds.

On considérera dans le présent atlas que les principales ravines forment des sous-unités de paysage (ou unités de paysage locales), incluses dans les paysages qu’elles sillonnent et façonnent en creux.

Les petites plaines d’altitude​

Outre les grandes plaines des Cafres, des Palmistes et de Bébour-Bélouve au cœur de l’île, chacune d’aspect remarquablement différent malgré leur proximité géographique, d’autres plateaux d’altitude génèrent des paysages distincts, notamment en haut des pentes du nord-est :
En offrant des paysages de forêts et de landes nimbés de nuages et d’humidité, elles appartiennent déjà à La Réunion intérieure, tout en achevant par leur infléchissement les pentes extérieures de l’île.

Les cirques miniatures​

Le Plate, autre replat dans les pentes, en théâtre tourné vers le Piton Calvaire (d’où est prise la photo en 2010).

Ponctuellement, des replats inattendus brisent la régularité des grandes pentes extérieures de l’île. Souvent environnés de pentes raides, de pitons voire de petits remparts, ces replats forment comme des petits cirques ou cirques miniatures. On en distingue sept :

La Plaine des Grègues, inscrite dans les pentes du sud.
Les Makes, incrustés dans les pentes du même nom.

L’Entre-Deux, creusé dans les pentes du Dimitile.

Le Tévelave et Le Plate, dans les pentes de l’Ouest.

Dos d’Ane, découpé dans les pentes de la Montagne.

Grand Etang niché dans les pentes de la Plaine des Palmistes.

Grand Coude, un cas unique de plateau, physiquement isolé par les remparts de la Rivière des Remparts et de la rivière Langevin, dominé par le Morne Langevin.

Les remparts, tremplins vertigineux de l’extérieur sur&nbspl’intérieur de l’île

Point de vue du Bras de Pontho sur le Bras de la Plaine.
La fenêtre des Makes, point de basculement des pentes sur l’intérieur de l’île.
Curieusement, et c’est une des originalités fortes des paysages de La Réunion, les balcons spectaculaires qu’offrent les reliefs ne s’ouvrent pas sur l’océan, comme pour la plupart des îles dans le monde, mais plutôt sur la montagne. Avec ses remparts, La Réunion met en scène ses entrailles torturées beaucoup plus que ses rivages marins. L’exemple le plus célèbre et le plus fréquenté est le point de vue du Maïdo, vertigineux et brutal basculement des longues pentes extérieures de l’Ouest sur l’intérieur tourmenté, sauvage et silencieux du cirque de Mafate. Cette spécificité est liée à la nature volcanique et ruiniforme de l’île : un cône aux pentes extérieures globalement régulières, écroulé en son centre.
Une douzaine de points de vue principaux spectaculaires peuvent ainsi être identifiés :
L’entrée grandiose du cirque de Salazie, vue depuis le point de vue de Dioré.
D’autres portes ouvrent brutalement et spectaculairement sur l’intérieur de l’île : les « entrées » des grandes ravines visibles ou accessibles ; la rivière du Mât pour Salazie, la rivière Saint-Etienne (bourg de la Rivière) pour Cilaos, la rivière des Galets pour Mafate sont les principales. Mais chaque ravine d’importance offre un paysage de Réunion intérieure jusqu’au bord même de l’océan. De là leur grande valeur paysagère, qui s’ajoute à leur valeur écologique, et qui donne lieu à des pratiques sociales de proximité (baignade, promenade, pique-nique, sports). Parmi les innombrables points de vue de l’île, ces remparts, tremplins et portes de l’extérieur sur l’intérieur méritent la plus grande attention dans leur mise en scène, car ils constituent l’essence même du caractère spectaculaire des paysages de La Réunion.
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