Atlas / 1. Tableau d’ensemble
Traditionnellement, on distingue deux grands ensembles de paysages à La Réunion : les Hauts et les Bas. Les Hauts sont moins habités que les Bas, plus naturels et plus sauvages d’aspect, présentent des reliefs plus importants, plus marqués, plus irréguliers, disposent de terres plus boisées et moins cultivées, offrent un climat plus nébuleux et globalement davantage pluvieux.
À l’inverse les Bas concentrent l’essentiel du poids de population et le cortège de l’urbanisation qui en découle : habitat, activités, infrastructures. Ils sont aussi davantage cultivés, notamment en canne à sucre, sur des pentes à peu près régulières des bas de planèzes ; ils bénéficient d’un climat globalement moins arrosé que les Hauts, plus ensoleillé, même si des différences climatiques très fortes distinguent les Bas de l’est des Bas de l’ouest ; ils s’achèvent sur un littoral.
Ces différences très marquées entre Hauts et Bas ne sont pas liées qu’aux données naturelles géographiques, mais également aux données humaines historiques, qui se traduisent dans les champs sociologiques et économiques. Le fait historique générateur de la distinction si marquée entre Hauts et Bas est la concession par le Roi des terres basses, par le truchement de la Compagnie des Indes : la mise en valeur de l’île Bourbon a été encouragée par la concession des terres « du battant des lames au sommet des montagnes », qui a conduit à privatiser les terres basses et à maintenir les Hauts dans la sphère publique, propriété de l’État puis du Département, géré par l’ONF et, depuis le 05 mars 2007, dans le giron du Parc National/UNESCO. Les Hauts ont été progressivement occupés par les « noirs marrons » (esclaves évadés, réfugiés dans la montagne, et premiers occupants des îlets) et par les « petits blancs des hauts » : ces blancs ont été appauvris par un double processus :
Au fil du temps, l’opposition entre les paysages des Hauts et ceux des Bas tend à se renforcer, avec des Bas de plus en plus artificialisés et des Hauts de plus en plus sanctuarisés.
En termes de paysage, l’opposition Hauts/Bas apparaît ainsi globalement fondamentale et renforcée par les délimitations administratives, y compris les plus récentes avec la création du Parc National et l’inscription UNESCO.
« Depuis 2010, le Parc National de La Réunion figure sur la liste des biens naturels inscrits au Patrimoine Mondial par l’Unesco… Et à juste titre ! Ce magnifique espace naturel est né d’une volonté commune entre les acteurs locaux, nationaux mais aussi internationaux de préserver la diversité naturelle des Hauts de l’île. Plus précisément, ce sont les “Pitons, cirques et remparts” réunionnais qui font figure de valeur universelle exceptionnelle pour la liste de l’Unesco. » reunion.fr
Néanmoins les appellations « Hauts /Bas » présentent quelques imperfections en faisant référence à l’altitude.
Si celle-ci reste le facteur principal de différenciation en influant sur la fraîcheur, la nébulosité, la végétation, les possibilités de mise en culture, elle n’est pas seule à intervenir. On peut se sentir très loin du littoral, et dans une toute autre ambiance, tout en restant objectivement très bas en altitude. L’étude des paysages de 1994 le dit : « au fond de Bras Rouge, dans le cirque de Cilaos, on peut être à 300 – 400 m d’altitude seulement, et l’on est pourtant à l’évidence dans ce que l’on appelle « les Hauts ». Les pentes du Grand Brûlé sont à leur manière des paysages des Hauts qui tombent jusqu’au niveau zéro de l’Océan. C’est d’ailleurs le seul endroit où le Parc National atteint la mer. Inversement il faut remonter très en altitude sur les pentes de l’Ouest avant de parcourir des paysages que l’on dit appartenir aux « Hauts ».
C’est pourquoi il est possible d’enrichir la distinction Hauts/Bas par une autre distinction duale : La Réunion des pentes extérieures et La Réunion intérieure.
Les pentes de Saint-Denis, marquées par l’urbanisation entrecoupée de ravines serrées, qui découpent autant de quartiers urbains.
Les pentes du Nord-est (de Sainte-Marie à Bras-Panon en passant par Sainte-Suzanne et Saint-André), encore marquées par les grands domaines de canne à sucre qui s’allongent élégamment en bas de pente, jusqu’à l’océan.
Les pentes de Saint-Benoît, où s’opère la transition entre le massif ancien du Piton des Neiges et le massif plus récent du Piton de la Fournaise, par la couture que représente la plaine des Palmistes.
Les pentes de Sainte-Rose et Saint-Philippe, ou pentes de l’Est, les plus calmes et sauvages de l’île, qui échappent au trafic de transit, et qui composent le « dessous du volcan », avec en leur cœur le Grande Brûlé marqué par les longs épanchements des coulées volcaniques du Piton de la Fournaise vers l’océan.
Les pentes de l’Ouest, les plus longues et régulières de l’île, courant de 0 à 2900 m d’altitude (Grand Bénare), aux côtes urbanisées en stations balnéaires et baignées en partie par les eaux du lagon, aux paysages plus secs, en mutation avec la pression d’urbanisation, la mise en culture des terres par irrigation et la route des Tamarins.
Pour chacune de ces pentes, qui forment comme une tranche du vaste cône que constitue l’île posée dans l’océan, les paysages vont varier en sous-unités selon l’occupation des sols, elle-même largement dépendante de l’altitude. Globalement, chaque unité paysagère s’organise en une plaine littorale, marquée par l’urbanisation des villes principales de l’île, des mi-pentes ou pentes intermédiaires, largement cultivées, et des hauts, majoritairement boisés, parfois également cultivés ou pâturés.
Mais ce schéma n’est pas valable partout, et les exceptions contribuent à la diversité paysagère de l’île. Ainsi les pentes de La Montagne s’achèvent en hautes falaises maritimes qui ne laissent aucune place à la moindre plaine littorale, compliquant les communications entre nord et ouest de l’île par les fameuses « route du littoral » et désormais “nouvelle route du littoral” (NRL). Au cœur des pentes de Sainte-Rose et Saint-Philippe, le Grand-Brûlé, par où s’écoule vers l’océan l’essentiel des laves du Piton de la Fournaise, apparaît comme un paysage des hauts projeté sur le littoral, sans que s’établisse la traditionnelle distinction bas/mi-pentes/hauts. Il est symptomatique que, à cet endroit précis, le Parc National ait choisi finalement d’abaisser sa limite jusqu’à l’océan.
Les grands paysages de La Réunion intérieure sont ceux des grands cirques, du massif du volcan, des hautes plaines. Ils sont organisés autour du Piton des Neiges, plus haut sommet, trônant au cœur de l’île à 3070m d’altitude. Les unités sont facilement discernables par les cassures de pentes souvent spectaculaires qui les séparent brutalement les unes des autres. Les paysages de la Réunion intérieure sont ceux qui rendent l’île subjectivement grande malgré sa taille objectivement réduite : ils abstraient le regard de l’océan, leurs reliefs engloutissent l’observateur au point de lui faire oublier l’insularité de l’île ; et ils agrandissent l’île en allongeant les temps de parcours. C’est pourquoi un survol de la Réunion par hélicoptère, qui nous libère de toute contingence topographique et nous redonne un regard d’ensemble, ramène cruellement l’île à ce qu’elle est : une poussière volcanique dans l’immensité de l’océan.
Les ravines qui sillonnent les pentes extérieures de l’île sont légion. Chacune offre des milieux et des ambiances radicalement différents de celles des pentes, grâce aux remparts (falaises) qui les enserrent en creux, et à la végétation arborée, souvent naturelle et précieuse, qui y trouve encore refuge. Certaines ravines atteignent des dimensions telles qu’elles forment de véritables paysages intérieurs, absorbant complètement le visiteur dans un monde propre, à la fois intime et grandiose, composé de hauts remparts, de végétation épanouie et diversifiée, de lits de rivières encombrés de spectaculaires chaos de rochers basaltiques, d’eau courant en torrents ou dormant en bassins, selon les ravines et les saisons. À l’approche des plaines littorales, certaines sont cultivées, formant comme des cornes d’abondance où s’épanouissent des jardins et vergers remarquables dans les fonds.
On considérera dans le présent atlas que les principales ravines forment des sous-unités de paysage (ou unités de paysage locales), incluses dans les paysages qu’elles sillonnent et façonnent en creux.
Ponctuellement, des replats inattendus brisent la régularité des grandes pentes extérieures de l’île. Souvent environnés de pentes raides, de pitons voire de petits remparts, ces replats forment comme des petits cirques ou cirques miniatures. On en distingue sept :