Atlas / 5. Les processus, enjeux et orientations thématiques / Synthèse : les enjeux majeurs de paysage
5. Les processus, enjeux et orientations thématiques
Introduction :
puissance des transformations des 70 dernières années
Les valeurs paysagères clefs de La Réunion
Les paysages de l'eau douce
Les paysages du littoral
Les paysages de nature
Les paysages agricoles
Les paysages de l'habitat
Les paysages des mobilités
Les paysages des énergies
Les paysages des activités et équipements
Synthèse : les enjeux majeurs de paysage
Synthèse :
les enjeux majeurs de paysage
Les puissants facteurs naturels de transformation
« Les paysages mettent du temps à évoluer. Il y a parfois des évolutions brutales (un pan de falaise qui s’effondre ou autre), mais la plupart du temps, c’est une évolution lente, façonnée par les grands mouvements de l’histoire géologique notamment. »
Matthieu Menou, DEAL Réunion, chef du Service Eau et biodiversité
La situation géographique (environnement tropical océanique) et la nature géologique (relief jeune et marqué, nature des sols, etc.) de La Réunion font d’elle la région française la plus exposée aux risques naturels. En effet, sept des huit risques naturels majeurs y sont présents : les cyclones et tempêtes, les inondations, les mouvements de terrains, les éruptions volcaniques, les feux de forêts, les tsunamis et les séismes. Les risques technologiques représentent également un enjeu fort pour La Réunion avec des infrastructures nécessaires à la vie de près de 1 million d’habitants et de touristes. Pour ce faire, le Dossier Départemental sur les Risques Majeurs (DDRM) est le document de référence en matière d’information préventive. Il recense l’ensemble des informations essentielles sur les risques naturels et technologiques majeurs identifiés à La Réunion. Source : Dossier Départemental des Risques Majeurs (DDRM) de la Réunion.
À la Réunion, Météo France a pu constater une augmentation des températures au cours des 40 dernières années, en plus de fortes baisses de pluviométrie dans la partie sud-ouest de l’île. Ces modifications globales sont en grande partie attribuées à l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, dont le principal, le dioxyde de carbone (CO2), est issu majoritairement de la combustion des ressources fossiles (pétrole, charbon, gaz, etc.).
La France s’est fixée comme objectif de diviser par 4 ses émissions de GES enregistrées en 1990 d’ici 2050 par la réduction de l’intensité carbone de 3 % des émissions par an. Le SRCAE, Schéma Régional Climat Air Energie, élaboré en 2012 par la Région, est la traduction au niveau régional des axes stratégiques du Grenelle II pour l’aménagement du territoire en concordance avec le développement durable. Le Plan Climat Energie Territorial (PCET) est un des outils de déclinaison de la stratégie nationale, au niveau des collectivités de plus de 50 000 habitants. La CINOR, la CIVIS et la CIREST ont réalisé un Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) ; le TCO, la CASUD et le Département ont un PCET (ancien PCAET).
C’est dans ce contexte que se dessinent les enjeux de paysage contemporains.
Les tendances positives et les opportunités
Une amélioration du paysage urbain
Reconstruire la ville sur la ville
Dans les centres-villes, le paysage urbain a vécu ces vingt dernières années une évolution lente vers des dispositions plus douces où le tout-voiture n’impose plus sa logique de façon exclusive. A Saint-Denis par exemple, la rue du Maréchal Leclerc est partiellement piétonnisée, des voies en site propre sont mises en place pour les bus, le boulevard sud est heureusement aménagé dans des dispositions plus urbaines et moins routières. A Saint-Leu l’aménagement de la place met en valeur les beaux bâtiments patrimoniaux de la mairie. A Saint-Paul, l’arrivée de la Route des Tamarins a été contrebalancée par une requalification de l’ancienne Chaussée Royale en avenue urbaine et ombragée. Cependant la pression liée à la place de la voiture et à la faiblesse des transports en commun limite les mutations urbaines que la ville réunionnaise pourrait offrir aux habitants.
La création de ZAC s’est nettement ralentie ces dernières années au regard des nombreuses opérations aux faibles exigences durables des années 1980-2010. Les opérations plus anciennes formées de grands ensembles et de vastes aires de stationnement font aujourd’hui l’objet de requalification et de résidentialisation. Elles ont influencé les modes d’habiter, coupant le lien des habitants avec le sol, les plantes et les modes de vie traditionnels. La tendance actuelle des quartiers durables est bien de favoriser le dialogue avec la nature par un mode de vie contemporain tourné vers l’extérieur et les autres (parcs, espace de proximité, jardins, terrasses, jardins partagés, etc).
Les projets de nouveaux quartiers, projet de création (ZAC, Écocité) ou de rénovation (projets ANRU de Saint-Benoît, Saint-Denis, Saint-André, Le Port, Saint-Louis, Saint-Pierre) poursuivent des objectifs d’amélioration et de diversification des conditions de vie des habitants en agissant sur un tissu urbain dense et généreux en espaces publics.
Ces projets ambitieux ont favorisé la métamorphose urbaine des quartiers par la densification du bâti, l’amélioration des équipements, la requalification des espaces publics et l’amélioration des conditions de déplacement doux.
De belles opérations d’envergure se sont inscrites dans le respect d’ambitions durables élevées à la fois dans l’architecture et dans le rapport du bâti à l’espace public. L’espace de déplacement est partagé en intermodalité, le végétal participe au confort thermique, à la biodiversité et à la qualité du cadre de vie.
La ZAC de Beauséjour à Sainte Marie, initiée par CBO à partir de 2007, a été conçue comme une greffe urbaine en extension de l’agglomération du Nord sur une zone de 78 hectares. La nouvelle ville accueille plus de 5 000 habitants dont 800 en logements sociaux. Couronnée de nombreux prix, elle se distingue notamment par la qualité de traitement alternatif des eaux pluviales et par la riche biodiversité de la trame des espaces publics participant au confort climatique, à l’animation et à la convivialité des espaces.
La ZAC Cœur de Ville à La Possession est en phase opérationnelle depuis 2013. Situé en prolongement du centre-ville actuel, le quartier doit loger d’ici 2025, 5 000 personnes dans 1 700 logements et des équipements structurants associés, dans un cadre de vie dicté par les exigences de haute qualité environnementale urbaine et territoriale. Le projet de « ville jardin » offre des parcours pacifiés de déplacements doux et des espaces publics multiples et généreusement arborés.
Une amélioration des relations des villes à leur environnement
Les relations des villes à leur environnement s’améliorent.
À Saint-Pierre, le bord de mer est aménagé en promenade, les plantations généreuses d’essences diverses et en partie indigènes offrant des ambiances et un ombrage agréable tout en jouant leur rôle de lutte contre l’érosion de façon à la fois douce et efficace.
À Saint-Paul, la Chaussée Royale a été transformée en avenue plantée, avec trottoirs élargis, circulation douce et remise en valeur du canal, tandis qu’une grande Promenade a été créée pour relier Saint-Paul au site classé de la ravine Bernica. L’entrée de ville a été requalifiée par la même occasion. Fait remarquable et trop rare, ce vaste projet urbain s’est réalisé concomitamment à la réalisation d’un projet d’infrastructure (la Route des Tamarins) dont on craignait les effets sur un site urbain et naturel fragile (ville, réserve naturelle de l’étang, site classé de la ravine Bernica). Inscrit dans un projet de paysage global, le projet routier a pu être initiateur de revalorisation du site de Saint-Paul.
À Saint-Paul, le grand projet de reconquête du littoral offre un dialogue privilégié avec le littoral dans des ambiances contrastées et successives offrant un cadre arboré de qualité et des aménités urbaines très fréquentées.
À Sainte Marie, la reconquête de voiries urbaine littorales a fait place à des espaces publics fortement fréquentés.
À Saint Pierre, des espaces publics réalisés dans le cadre du TCSP de la CIVIS ont permis de valoriser des espaces urbains exceptionnels en centre-ville : place de la mairie ombragée, et quelques squares ombragés.
À Saint Denis : le projet PRUNEL (ANRU) place la trame des espaces publics, des parcs, des ravines et du littoral comme élément structurant du projet de requalification des quartiers.
Un accueil du public plus valorisant
Le site de la Pointe de Trois-Bassins est réaménagé de façon simple et efficace en reculant les voitures du littoral et en créant des cheminements piétonniers. Le site de la Pointe-au-Sel, outre la réhabilitation des salines, bénéficie d’un accueil mieux maîtrisé.
Le sentier littoral devient progressivement une réalité, permettant enfin aux visiteurs d’apprécier le trait de côte de La Réunion, merveilleusement diversifié. Dans l’Est, le développement du sentier littoral par séquences contrastées et circuits en boucles pallie les difficultés de franchissement de certains secteurs.
Des sites densément fréquentés parviennent à préserver et à mettre en scène la qualité du cadre d’accueil : le projet du Maïdo, ou la plage de Grande Anse, par exemple.
En matière culturelle, le patrimoine fait l’objet de projets d’envergure avec par exemple la reprise du Musée Stella Matutina qui a fait l’objet de recréation de jardins et espaces extérieurs, et bientôt la valorisation du Domaine de Villèle par le Département.
Une recherche de préservation de l’identité des sites des hauts
Dans les bourgs
Certains îlets des cirques réussissent à maîtriser leur architecture et leur environnement jusqu’à offrir des ambiances de grande qualité : Ilet-à-Bourse, Cayenne.
Les études menées par le PNR, dont le schéma expérimental de quatre îlets à Mafate, posent les bases d’une valorisation paysagère et architecturale des îlets qui permettent de retrouver avec les habitants l’authenticité des modes de vie et de l’ambiance des lieux.
Des opérations d’urbanisme et d’architecture durables
Quelques opérations marquent une progression dans le paysage bâti contemporain, en termes d’urbanisme, d’architecture et, finalement, de paysage : le parc de la Poudrière à l’Etang Saint-Paul (CBO territoria) par exemple, présente un quartier planté et aéré proche de la forêt de l’étang — où l’on remarque la qualité environnementale et architecturale des opérations de collectifs.
Depuis quelques années, une structure d’accompagnement des acteurs du cadre bâti s’est mise en place, sous l’impulsion de professionnels régionaux œuvrant dans la promotion de la construction durable.
Le Centre de Ressources Qualité Environnementale du Cadre Bâti, enviroBAT-Réunion, dont la gestion et l’animation en ont été confiées au CAUE, a pour objectif de sensibiliser, d’informer et d’accompagner les acteurs concernés par les préoccupations environnementales et le développement de la qualité environnementale dans les opérations concernant le cadre bâti (construction, réhabilitation, opération d’aménagement, d’infrastructure…). Il favorise la sensibilisation et les échanges entre les différents acteurs afin de partager recherches, retours d’expériences et propositions de solutions intégrant les notions de développement durable.
L’architecture bioclimatique avec des matériaux bio sourcés (bois…) et des modénatures travaillées offre aujourd’hui dans les quartiers durables réunionnais un lien plus organique avec le site, et une insertion plus harmonieuse avec le paysage. Elle permet, par les principes de confort thermique, un lien plus étroit avec le végétal, l’insertion au relief et les vents par une optimisation aéraulique.
Les opérations ainsi référencées participent à l’avancement des recherches, constituent une base de référence en architecture tropicale et prennent une place grandissante dans le paysage réunionnais.
En termes d’urbanisme, quelques projets majeurs inscrits comme quartiers durables, participent à l’évolution du paysage urbain en présentant des quartiers associant qualité de vie, architecture bioclimatique et urbanisme végétal. Là encore, les projets et les démarches expérimentales engagées ont valeur d’exemple sur des thèmes réglementaires parfois délicats comme la gestion alternative des eaux de pluie, ou des sujets transverses comme les liaisons douces, et le cadre végétal etc. C’est le cas notamment de :
- Écocité avec la ZAC Cœur de ville et la future ZAC de Cambaie.
- Zac Beauséjour.
- Anru de Ravine Blanche à Saint-Pierre, de Prunel à Saint-Denis, de Saint-André, Saint-Benoît, le Port.
- Grands projets urbains : PNRU, Écocité.
Les freins à la qualité des paysages
Les acteurs de l’aménagement auditionnés à la faveur de l’actualisation du présent Atlas des paysages identifient quatre principaux freins à lever pour accélérer l’amélioration des paysages de La Réunion.
Des questions du paysage insuffisamment appropriées
« La Réunion est bien dotée en expertise, en compétences, en services publics qui fonctionnent, et dispose de tout un canevas de corpus de documents réglementaires et de planification. Reste que la dynamique de dégradation des paysages est toujours présente »
Olivier Bielen, Responsable Océan Indien, Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)
Les enjeux d’appropriation, de prise de conscience et de partage des connaissances facilitent la sensibilisation et la prise de conscience des grands phénomènes en jeu.
Les questions paysagères sont rarement portées lors de grands choix impactant le territoire ; l’opportunité du projet sur un site donné est rarement questionnée : route des Hauts de l’Est, Route de Cilaos…
Parfois, la culture existe dans le discours auprès des acteurs, mais les logiques de développement et les considérations économiques écrasent tout intérêt sur les questions paysagères.
« À la Réunion, on a pas mal de gens compétents et sensibilisés. Quand on parle du paysage ça part au quart de tour, même dans le discours des élus … Le vrai problème est que le paysage n’a pas de valeur économique et que l’on n’est pas capable de contrer les arbitrages économiques »
Olivier Chevalier, directeur de l’aménagement, TCO
Un manque de gouvernance
« On est sur des grands thèmes génériques où tout le monde peut être d’accord, mais à l’échelle de projets particuliers, voire même collectifs, ce sont de sujets que l’on a du mal à manier… Je suis intéressé par le partage de connaissance comme l’Atlas, ce qui me préoccupe toujours c’est la manière dont on met cela en œuvre de manière opérationnelle »
Olivier Bielen, Responsable Océan Indien, Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)
Malgré les moyens juridiques et la compétence des différents acteurs, les intentions vertueuses sont difficiles à tenir dans le temps avec le constat de la poursuite de la dynamique de dégradation des paysages.
Le manque de gouvernance et la dispersion des responsabilités (sectorisation des approches) complexifient la notion de philosophie commune et partagée.
Enfin, le manque d’organisation des services des collectivités au détriment d’une maîtrise d’ouvrage plus resserrée dilue le discours et le sens dans la durée des projets.
La prédominance du court terme
« L’aménagement du territoire et le développement de l’île connaissent une véritable dynamique qu’il faut accompagner de façon raisonnée. Et c’est extrêmement difficile. On le voit en ce moment, en période de crise, où d’un seul coup, la seule préoccupation est de relancer l’économie. Le réflexe immédiat de penser l’impact à long terme sur mon environnement, je n’arrive pas à bien le sentir chez le décideur politique ».
Matthieu Menou, DEAL Réunion, chef du Service Eau et biodiversité
« Le paysage ne questionne pas les politiques publiques »
Paul Ferrand, directeur adjoint, PNR
« Je n’arrive pas à sentir dans l’exercice quotidien des missions des uns et des autres que l’on pousse tous dans le même sens et que l’on fait référence à cette stratégie commune. On n’a pas les outils réglementaires pour porter des stratégies à long terme comme la création de forêts participant au cycle de l’eau, mais des outils à l’échelle du projet que l’on peut suivre et évaluer ».
Matthieu Menou, DEAL Réunion, chef du Service Eau et biodiversité
L’importance de connaître l’histoire du paysage du lieu pour le préserver et le façonner apparaît majeure. Or les valeurs paysagères ne sont pas inscrites comme des composantes résistantes au temps qui passe. La notion d’urgence et de temps court limitent les possibilités d’explorer et de s’engager dans des projets durables s’inscrivant dans le temps : création de forêts urbaines par exemple, acceptation du rôle et de la place de l’arbre dans notre société car c’est une notion qui touche au vivant dans le temps long (au-delà de 75 ans).
La gestion défectueuse, une perte de sens et d’harmonie avec les paysages
« C’est lors du changement d’échelle sur des projets moins ambitieux que les enjeux paysagers peuvent passer à la trappe »
Olivier Bielen, Responsable Océan Indien, Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)
La résilience des aménagements semble plus tenir de questions d’organisation et de priorité que de moyens financiers et humains. Aujourd’hui, les priorités d’investissement et la captation de financements sont concentrées sur la réalisation de projets. Les moyens de gestion sont sous évalués et discontinus, ils expliquent la dégradation rapide des espaces ; le phénomène est accentué sur l’île du fait de la rudesse des événements climatiques.
Des savoirs métiers pourraient être développés sur l’île en offrant, contrairement aux emplois dits en « insertion », un parcours de carrière et une visibilité de formation et d’insertion dans des projets de gestion et de résilience. Des savoirs locaux existent, par exemple la connaissance des « plantes péi », et ce patrimoine immatériel est peu sollicité et valorisé.
Des formations de jardiniers connaissant le vivant et développant de pratiques de gestion écologique, permettraient de créer une filière et des emplois et de pérenniser des espaces aujourd’hui « périssables ». C’est un axe à développer en termes de résilience pour la création d’emploi valorisable (jardin, savoir-faire etc.) ; les moyens financiers et humains existent.
À Saint-Paul, la Chaussée Royale a été transformée en avenue plantée, avec trottoirs élargis, circulation douce et remise en valeur du canal, tandis qu’une grande Promenade a été créée pour relier Saint-Paul au site classé de la ravine Bernica. L’entrée de ville a été requalifiée par la même occasion. Fait remarquable et trop rare, ce vaste projet urbain s’est réalisé concomitamment à la réalisation d’un projet d’infrastructure (la Route des Tamarins) dont on craignait les effets sur un site urbain et naturel fragile (ville, réserve naturelle de l’étang, site classé de la ravine Bernica). Inscrit dans un projet de paysage global, le projet routier a pu être initiateur de revalorisation du site de Saint-Paul.
« La population réunionnaise possède un savoir notable sur les plantes. Il est important de valoriser ce savoir et notamment les postes de travail d’entretien des espaces verts de l’ensemble de nos lotissements, jardins partagés, bâtiments publics et infrastructures routières. »
Yann Hamonet, Département, service innovation, projet et territoire (agriculture, eau, environnement)
Synthèse sur les enjeux : un agri‑urbanisme des pentes qui reste à inventer
Une forte opposition se dégage aujourd’hui à l’échelle de l’île entre les pentes basses et intermédiaires, largement gagnées par l’urbanisation, et les pentes hautes et reliefs intérieurs, presque inhabités. Aujourd’hui, 85 % de la population occupe 1/3 de la superficie de l’île. 80 % de la population habite dans une bande littorale de 5 km de large ; 47 % vivent à moins de 100 m d’altitude.
Le schéma grossier de l’île est celui d’une ceinture littorale urbanisée encerclant un cœur vert de nature. « Nous sommes dans une île où le centre est la périphérie et la périphérie le centre », comme l’explique le géographe JM Jauze à ses étudiants (Université de La Réunion).
Spatialement, le scénario tendanciel qui se dessine pour l’île au regard des dynamiques des dernières décennies est celui d’une ceinture d’urbanisation continue, courant de Sainte-Rose/Saint-Benoît à Saint-Joseph/Saint-Philippe en n’épargnant que le secteur des pentes du volcan actif. Cette ceinture se développe essentiellement sur les pentes basses et les mi-pentes habitables ; l’espace littoral est préservé tant bien que mal par la Loi Littoral, les acquisitions du Conservatoire du Littoral, les coupures d’urbanisation, les espaces naturels sensibles et les réserves créées ; les Hauts restent de fait stables, pris pour une grande majorité dans le Parc national, même si leur gestion est complexe, en étant notamment dévolus à un tourisme de nature fondé sur l’équilibre délicat entre la fréquentation pour les usages de loisirs et la préservation de la biodiversité.
Ce scénario, dans son radicalisme simple, n’est pas sans poser problème. Il tend à ne porter attention qu’aux deux extrêmes : d’une part le littoral où se concentre l’urbanisation et l’hypermobilité liée aux routes nationales 1 et 2 et à la route des Tamarins ; d’autre part les hauts préservés par le PNR et mis en lumière par l’UNESCO. Il ne met pas suffisamment en lumière l’ampleur des pentes habitées, et leur fonctionnement de haut en bas aussi bien écologique, que socio-économique, dans un gradient altitudinal important qui représente un véritable défi, notamment en termes de mobilités. Il offre une vision simplificatrice du territoire qui, poussée à l’extrême, constitue un risque de fracture environnementale et paysagère préjudiciable au développement durable de La Réunion : les dimensions viable, vivable et équitable du développement de l’île sont en jeu.
Offrir des espaces de nature de proximité, une nécessité pour une population de plus en plus urbaine. Quel rôle peuvent jouer les espaces agricoles dans ce contexte ?
Le viable
Les espaces agricoles productifs se situent sur les pentes habitées ; souffrant de la pression du développement, ils méritent protection ; de même, des espaces naturels vitaux, notamment le récif corallien et son lagon, sont directement dépendants des protections et des principes d’aménagement durables à porter sur eux-mêmes et sur les pentes ; les espèces animales et végétales ont besoin de continuités biologiques entre hauts et bas qu’assurent les ravines, également sous la menace d’une urbanisation insuffisamment respectueuse de leurs abords, et les autres espaces non bâtis mis en réseau. Pour le tourisme, la qualité de l’accueil sur le littoral est dépendante de la capacité que l’on aura à pouvoir offrir des espaces de nature multiples et répartis dans les pentes afin de limiter les problèmes et les risques de surfréquentation.
« Il y a une pression monumentale sur des grands sites d’intérêt car il manque des lieux de proximité (forêts) accueillant du public et évitant l’itinérance des usagers. »
Michel Reynaud, architecte, paysagiste, membre de la SREPEN
Le vivable
Dans les villes en voie de densification, la nature immédiate, urbaine, devient essentielle avec le changement climatique. Aux principes bioclimatiques architecturaux comme l’isolation, la ventilation naturelle, la production d’énergie renouvelable, s’ajoutent des principes d’urbanisme et de paysage comme l’ombrage systématique par des plantations d’arbres et de palmiers, la récupération des eaux de pluies, l’infiltration à la parcelle, la limitation de l’imperméabilisation des sols, l’adaptation des essences aux ressources hydriques et moyens de gestion, la réduction de la dépendance à la voiture par les commerces, services et équipements de proximité, les circulations douces prioritaires, généreuses et confortables, …
Mais l’ensemble de ces dispositions concerne les villes constituées et occupe des surfaces modestes, linéaires, interstitielles ou ponctuelles. Dans un contexte de plus en plus urbanisé et appelé à se densifier, les habitants doivent impérativement pouvoir bénéficier d’espaces « verts » de proximité : pour la détente, les loisirs, le sport, la promenade, les déplacements doux ; or cette nature de proximité immédiate manque déjà cruellement aujourd’hui. Elle se mesure à la surfréquentation des plages et du trait de côte, quasi-quotidienne, et à celles des Hauts tous les week-ends et pendant les vacances, fragilisant les milieux et rendant délicate leur gestion durable.
Avant son ouverture à la circulation, la dense fréquentation de la Route des Tamarins par les promeneurs, cyclistes, rollers et trottinettes, avait montré ce besoin d’espaces de proximité. La crise COVID a également été un révélateur en ce domaine. Bien des habitants des pentes ne disposent pas de tels espaces de proximité ; ils sont contraints d’utiliser leur voiture et de descendre sur la côte pour pratiquer leur jogging ou tout simplement pour promener leurs enfants. Dans ces situations, la plurifonctionnalité sociale et productive des espaces agricoles des pentes doit s’envisager, de même que la capacité à créer des parcs et forêts socio-écologiques intermédiaires, entre littoral et hauts.
« La savane du Cap La Houssaye ou l’étang du Gol ont été arpentés en long, en large et en travers par beaucoup de monde pour se défouler durant les phases de confinement. »
Olivier Bielen, Responsable Océan Indien, Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)
« On constate clairement une recherche d’espaces de nature et d’espaces de proximité de la part de la population. A Terre Rouge, site très fréquenté attenant à l’urbanisation ».
Olivier Bielen, Responsable Océan Indien, Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)
L'équitable
Pour l’ensemble des habitants, le littoral doit pouvoir rester un espace de liberté et de respiration d’autant plus précieux et nécessaire que la plupart des Réunionnais ne quittent jamais l’île qui reste objectivement petite, close sur elle-même.
Par ailleurs, les habitants des pentes (mi-pentes et pentes hautes) ne disposant ni de la proximité immédiate de la mer, ni du dynamisme touristique des cirques, ni des transports en commun efficaces, pourraient pâtir d’un environnement immédiat non maîtrisé et dégradé, aggravant une fracture sociale liée à l’altitude, déjà sensible aujourd’hui. Une urbanisation se développe dans les pentes hautes, parce que le foncier est plus accessible. « Les gens qui vivent dans les Hauts n’ont pas forcément une activité dans les Hauts », rappelle Olivier Chevalier (TCO). La question des mobilités, dans ce contexte, ne se pose pas qu’au fil du littoral et des pentes basses. Elle intéresse les pentes dans leur ampleur, perpendiculairement au trait de côte, de bas en haut et de haut en bas, de zéro à près de 1000 m d’amplitude (dans l’ouest notamment), ce qui est considérable en termes de dénivelé. Dans cette situation, le transport câblé, en étant efficace, écologique et scénographique, doit trouver sa place dans les paysages des pentes et conditionner le développement de demain lié à ses gares.
« Nous sommes sur un territoire insulaire dans lequel les espaces agricoles et les espaces urbains se côtoient. Ils sont « maillés ». Il n’y a pas, comme en métropole, cette dichotomie de territoire. On est sur un territoire unique… Le « caro » de canne ou le verger de mangues est le plus souvent à proximité immédiate de la ville. »
Yann Hamonet, Département, service innovation, projet et territoire (agriculture, eau, environnement
En termes d’aménagement, le secteur clef de l’île est donc celui des amples pentes (pentes basses littorales, mi-pentes jusqu’aux limites hautes habitées) où l’urbanisation est en concurrence directe avec l’espace agricole cultivé, occupé encore aujourd’hui majoritairement par la canne.
Ces pentes méritent une double orientation :
- des dispositions de mobilités par câble organisant le développement des villes des pentes sur le long terme autour des gares,
- des dispositions de protections contre l’urbanisation au moins aussi fortes que dans les hauts.
L’ensemble est à articuler dans un schéma d’ensemble ; c’est l’objet du SAR. Le Parc national dispose d’une charte contractuelle pour l’aire d’adhésion qui entoure le cœur.
Pour la protection efficace et sur le long terme des terres, les politiques foncières et réglementaires sont menées pour certains espaces de nature (acquisitions par le Conservatoire du Littoral, acquisitions au titre des Espaces naturels sensibles par le Conseil départemental, réserves naturelles, sites classés). Ces politiques portent désormais un peu sur les espaces agricoles grâce aux PEANP que développe le Département, en commençant par le secteur de Petite Ile. Il est urgent d’accélérer ces politiques d’agri-urbanisme pour cesser de considérer les espaces agricoles soit comme des “bunkers” réservés aux exploitants et à la production, soit comme des variables d’ajustements pour la ville, tributaires des révisions des documents d’urbanisme incessantes et au fil de l’eau. Les “parcs” agricoles, les circuits courts et de proximité, les lisières agri-urbaines, les continuités écologiques et paysagères des Hauts aux Bas, doivent désormais devenir l’armature des villes agricoles et naturelles des pentes de La Réunion, survolée par quelques lignes de transport câblé qui desservent les centralités urbaines et végétales renforcées.