Les valeurs paysagères clefs de La Réunion​

Les valeurs paysagères clefs de La Réunion

Exprimer les valeurs paysagères, c’est fonder une reconnaissance partagée et partageable des traits de caractères qui contribuent à la forte personnalité de l’île. Cette reconnaissance constitue le socle de toute politique de paysage. Elle constitue une étape indispensable avant de porter un regard critique sur les évolutions en cours (valorisent-elles ou dévalorisent-elles ?), mais aussi une source d’inspiration pour agir de façon juste sur le territoire (comment valoriser les paysages au travers des grandes décisions stratégiques et des façons de faire concrètes et opérationnelles).

Une diversité et des contrastes uniques au monde

Des fragments du monde ramassés sur un confetti

La Réunion et la métropole à la même échelle. Sur une surface exiguë, La Réunion offre un concentré extraordinaire de paysages variés et contrastés (dessin agence Folléa-Gautier).
Fragments de la diversité contrastée des grands paysages de La Réunion, exceptionnelle.

Objectivement, La Réunion, avec sa modeste superficie de 2 512 km2, est bien petite et isolée.

Sur le globe, elle n’est qu’une poussière perdue dans le sud de l’Océan Indien à 800 km à l’est de Madagascar, tout juste accompagnée de son île sœur, l’île Maurice.

Si on la dessine aux côtés de l’hexagone — qui n’est pas un très grand pays à l’échelle mondiale ! —, elle y forme à peine une modeste petite tache, couvrant moins de la moitié d’un département de métropole.

Pourtant, pour qui découvre La Réunion, l’île paraît grande ; beaucoup plus grande que ce qu’en indique le compteur de kilomètres carrés. Elle recèle une telle diversité de paysages, de tels contrastes d’ambiances, que son parcours donne l’impression de découvrir plusieurs pays. Elle forme comme un patchwork de miettes de continents miraculeusement rassemblées en une poussière d’île : des plaines douces et vertes de canne à sucre, comme aux Caraïbes, des savanes lumineuses comme en Afrique de l’est, des canyons vertigineux à l’Américaine, un volcan actif au-dessus de forêts vierges, comme en Indonésie, des landes à ajoncs comme en Auvergne, des côtes sauvages et rudes, surprenantes, et des plages tropicales alanguies, conformes aux cartes postales. Avec la Plaine des Sables, La Réunion semble même avoir décroché un morceau de lune, … ou de Mars !

Cette diversité contrastée des paysages est une force, une valeur fondatrice pour La Réunion, peut-être la valeur paysagère n°1 de l’île ; valeur paysagère au sens plein du terme, qui est donc aussi sociale, économique et patrimoniale.

Valeur sociale : un cadre de vie particulièrement appréciable

Baignade en eau douce au moulin Kader, chemin du Tour des Roches, étang Saint-Paul.
Kayakistes sur la rivière des Roches.
Canyoning dans le cirque de Cilaos.

Pour les habitants, La Réunion offre un cadre de vie particulièrement appréciable dans un contexte géographique à la fois petit et isolé, où les échappatoires imposent de coûteux déplacements en avion, inaccessibles à une bonne part de la population. Une population qui sait profiter de cette richesse, et change volontiers d’univers en restant sur l’île, le temps des vacances, d’un week-end ou d’un simple pique-nique : un jour au bord de la mer, un autre dans la fraîcheur des hauts, un autre encore dans le cirque vert de Salazie, ou dans le cirque lumineux de Cilaos, etc. Le choix est vaste, simplement limité par les capacités d’accueil des gîtes, chambres et tables d’hôte, largement pris d’assaut tout au long de l’année. À La Réunion, la valeur des paysages est aussi une valeur sociale.

À la croisée des champs économique et social, les loisirs, considérablement développés au cours des dernières années, où la population est devenue à la fois plus nombreuse et plus urbaine, utilisent largement la diversité des situations paysagères offertes par l’île : plongée sous-marine à proximité de la barrière de corail, canyoning dans les ravines, surf dans les bons spots de vagues puissantes et longues, delta plane à la cassure des cirques, parapente sur les planèzes, randonnée et course à pied en montagne… Les paysages de l’île, avec leur diversité, offrent autant de terrains de jeux – pour le meilleur et pour le pire.

Valeur économique : une attractivité touristique puissante malgré l’isolement et l’éloignement

Touristes au Maïdo.

Pour les touristes et les visiteurs, la diversité contrastée des paysages est une motivation essentielle pour se décider à s’offrir un séjour de 1, 2 ou 3 semaines dans l’île. Sans cette séduction de paysages aux mille facettes, comment espérer attirer un tourisme autre que d’affinités à La Réunion, dans une situation aussi isolée et lointaine, à près de 10 000 km de la métropole ? Mais, au-delà du tourisme, le développement économique par les entreprises est aussi pour une part tributaire de la qualité paysagère : une motivation pour s’implanter et se développer à La Réunion. La valeur des paysages réunionnais est ainsi également une valeur économique. Une valeur vénale en quelque sorte, difficile à chiffrer mais majeure pour l’économie de l’île : la fréquentation touristique a augmenté de 41% entre 1995 et 2000 et, cette année-là, le secteur tourisme devient la première source de richesse, avec 320 millions d’euros. Malgré les crises qui ont suivi (chikungunya en 2006, crise requin à partir de 2011, COVID en 2020), la tendance haussière se poursuit, avec près de 500 000 visiteurs extérieurs en 2022, un niveau qui se rapproche du pic de 2018 (574 000 visiteurs, 432 M€ de recette).

Valeur patrimoniale culturelle : le melting-pot réunionnais

Au-delà de ces valeurs sociales et économiques, essentielles pour la viabilité de La Réunion, les paysages de l’île offrent une valeur patrimoniale majeure, à la fois culturelle et naturelle, reconnue dans le monde.
Temple tamoul à l’Ermitage.

Culturellement, La Réunion, creuset de populations formidablement diverses, a vu ses paysages façonnés par des peuples qui ont contribué à sa diversité tout au long de son histoire : les domaines sucriers des plantureux bas de planèzes, tenus par de grands propriétaires, les hauts habités et cultivés par les « petits blancs », le cœur de l’île investi par les noirs marrons et aujourd’hui habité en îlets, les pâturages secs à cabris et bœufs moka gérés par des bergers malgaches, les commerces indien, européens et chinois, les églises catholiques, les temples tamouls et les mosquées musulmanes… : la diversité des paysages est bien fille de la diversité culturelle et ethnique de l’île : jusqu’aux platanes des ingénieurs de métropole, que l’on voit encore sur certains tronçons de routes !

Valeur patrimoniale naturelle : un hotspot mondial de bio-diversité

Naturellement, La Réunion offre un patrimoine faunistique et surtout floristique inestimable, aujourd’hui assez bien connu et reconnu, dont témoignent les dispositions de protections prises à vaste échelle en particulier la création du Parc national de La Réunion et l’inscription à l’UNESCO des “Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion”.

Des paysages spectaculaires, très perceptibles et appropriables

Des paysages particulièrement spectaculaires et puissants

Ce n’est pas un hasard si La Réunion a été un temps promue pour le tourisme comme « l’île à grand spectacle. » La puissance des paysages de La Réunion est d’abord liée à celle de ses reliefs : ils dépassent les 3 000 m d’altitude au Piton des Neiges alors même que ce dernier se trouve à moins de 20 km de la côte ; quant au Piton de la Fournaise, à 2600 m d’altitude, son cratère se trouve à moins de 9 km de l’océan. Ce surgissement puissant de l’île volcanique au-dessus de l’océan est évidemment favorable à la forte présence de la montagne (les Hauts) dans le paysage perçu et vécu à La Réunion. Mais la dimension spectaculaire est surtout liée à d’autres raisons :

Le volcan au coucher de soleil.
Entrée du cirque de Salazie.
Les gorges du Bras de la Plaine, vues depuis Bras de Pontho.
Le Bonnet de Prêtre depuis Bras-Sec.
Fougère arborescente, rempart de Bellevue.
Le littoral de la côte sud (Saint-Philippe).
La nouvelle route du littoral (en travaux en 2022).
Les pentes du Dimitile et les champs de canne vers la Ravine-des-Cabris.

Des paysages généreusement offerts au regard

Point de vue du Maïdo.

La richesse de La Réunion en paysages est renforcée par le caractère très perceptible de ces derniers. La forte présence visuelle des grands paysages de l’île est bien sûr liée à la puissance des reliefs : partout ils s’affichent à la faveur des pentes des planèzes, des sommets découpés en mornes et en pitons, des cassures des remparts, ou du creusement des ravines. Il n’existe aucune partie de l’île qui soit à la fois suffisamment plate et grande pour faire « oublier » le grand paysage. Même sur les grandes plaines littorales — celle du Port et de Saint-Paul, celle de Saint-André, celle du Gol —, les pentes s’affichent en toile de fond, parfois de façon particulièrement précieuse et spectaculaire à la faveur du débouché des grands exutoires des cirques : l’échancrure de la rivière des Galets vers Mafate, celle de la rivière du Mât vers Salazie et celle, plus grandiose encore, de la rivière Saint-Etienne et de ses deux bras vers Cilaos, composent parmi les paysages de planèzes les plus spectaculaires de l’île. Quant aux plaines d’altitude, elles sont toujours liées à des reliefs marquants qui les bordent ou qui les ponctuent, et qui contribuent de façon majeure à la valeur des paysages qu’elles offrent : les remparts de la plaine des Palmistes, les pitons de la plaine des Cafres.

Perspective de la rue de Paris sur la mer, Saint-Denis.
Même en ville la moindre percée de rue est susceptible de mettre en scène une toile de fond, pente cultivée ou boisée vers l’amont, ou étendue bleue de l’océan vers l’aval. On le verra, ces perspectives urbaines et ces toiles de fond contribuent d’ailleurs à la valeur des paysages urbains de l’île, encore aujourd’hui insuffisamment prises en compte.
Vue d’une case, pentes de l’Ouest.
Sur les planèzes construites, la force des pentes facilite le partage de la vue vers le grand paysage, depuis les cases comme depuis les appartements des immeubles collectifs ou depuis les bureaux : le grand paysage rentre ainsi aisément au cœur de l’intimité habitée des Réunionnais, et contribue à donner de la valeur au bâti.
Une route paysage, au-dessus de Villèle.
Une route paysage vers Sainte-Anne.

Les routes les plus banales, pour peu qu’elles échappent à l’urbanisation linéaire, deviennent très facilement des déambulatoires remarquables pour mettre en scène le paysage, celui des pentes et des sommets comme celui du littoral.

Mais la plupart de ces grandes ouvertures paysagères, dans le paysage quotidiennement habité et circulé, est offert par les espaces agricoles, qui offrent les précieux et indispensables espaces de respiration, dégageant les horizons aussi bien vers les hauts que vers le littoral. Si, de mars à juillet, la canne atteint facilement 3 m de hauteur et cache les vues, la diversification des cultures crée des ouvertures bénéfiques à la perception et à la richesse paysagères.

L’intime et le grandiose à la fois : la richesse des paysages de La Réunion. Ici à l’Entre-Deux.
Ainsi, à La Réunion plus qu’ailleurs, on profite de grands paysages hors du commun dans les activités quotidiennes les plus communes : habiter, travailler, circuler. Visuellement, le grand paysage fait partie de la vie. On le consomme au quotidien. Le grandiose côtoie l’intime dans de saisissants contrastes et cette richesse de perceptions contribue largement à la valeur des paysages.

Des paysages généreusement offerts aux usages

La nature départemento-domaniale des hauts et la densité des sentiers facilitent l’appropriation des paysages par le public ; ici randonnée à Mafate.

La diversité des paysages ouvre à des usages variés, entre loisirs urbains, littoraux ou montagnards. En termes d’appropriation, la nature départemento-domaniale de près de la moitié de la superficie de l’île facilite grandement la découverte et la pratique des paysages. L’énorme travail d’ouverture et d’entretien des sentiers par l’ONF, le Département, le Parc national, rendent très accessibles les hauts, pour peu que les jambes suivent.

La côte à Saint-Philippe.
Sur le littoral, les beaux restes des 50 pas géométriques, complétés par les 800 ha de sites acquis par le Conservatoire du Littoral, et par les efforts des collectivités pour créer le sentier littoral, facilitent également la pratique des paysages de bord de mer. La facilité d’appropriation de l’espace contribue ainsi également à une intense « consommation » des grands paysages de l’île dans des pratiques sinon quotidiennes, du moins hebdomadaires. Et si la crise requin a réduit les usages du surf et de la baignade, elle n’a pas affaibli l’attrait des réunionnais pour le bord de mer qu’une autre crise, celle du COVID, a même contribué à renforcer.

Une myriade de sites qui enrichissent encore les paysages : la diversité des échelles

Les unités et sous-unités de paysage, aussi précises soient-elles, ne peuvent refléter pleinement la richesse paysagère de La Réunion. À des échelles beaucoup plus fines, des sites multiples complètent la palette des paysages. Ils ont un caractère historique et/ou naturel. Beaucoup sont reconnus et les guides touristiques concentrent presque exclusivement l’attention de leurs lecteurs sur eux. Leur densité est exceptionnelle. Voici par exemple ceux qui sont cités dans le Guide du Routard (hors sites et monuments urbains) ; on peut les classer en sept catégories :

Les sites liés à l'eau douce, très nombreux

Les ravines en général, et les bassins et cascades en particulier, dont notamment : la cascade Maniquet, le Bassin la Paix, le Bassin la Mer, Bassin Bleu, Bassin Mangue, (rivière des Marsouins), îlet Bethléem, Grand Etang, les bassins de la rivière Sainte-Suzanne, la cascade du Niagara, le Voile de la Mariée, Mare à Poules d’eau, Ilet à Vidot, source Manouilh, la ravine Saint-Gilles avec ses bassins successifs et sa canalisation, la ravine Bernica, la rivière Langevin et sa cascade sous Grand Galet (Bassin des Anguilles), le Trou de Fer, la cascade de Bras Rouge, le Piton de l’Eau et d’innombrables autres sites de ravines que l’on découvre à la faveur des sports d’eau vive ou de la randonnée.

Les Trois Roches, cirque de Mafate.
L’étang de Cambuston (parc du Colosse, Saint-André).
Les zones humides, quant à elles plutôt rares : le Tour des Roches et l’étang de Saint-Paul, l’étang du Gol, l’étang de Combuston (Parc du Colosse).

Les sites littoraux

Le spectacle de l’océan sur la côte rocheuse sauvage de l’Etang-Salé-les-Bains (site du Gouffre)
Les plages, mais aussi Anse des Cascades, pointe de la Table, puits Arabe, Cap Méchant, Grande Anse, les Souffleurs, Pointe de Trois Bassins, Pointe au Sel, Cap La Houssaye, Grotte des Premiers Français, Phare de Sainte-Suzanne, le Barachois de Saint-Denis, la Caverne à Saint-Leu, le bassin Bleu et le bassin Sardine à l’Etang-Salé-les-Bains, la marine de Langevin, …

Les points de vue

Site du Dioré, dominant l’entrée de Salazie et les pentes du nord-est.
notamment les points de basculement des pentes extérieures sur la Réunion intérieure, évoqués ci-dessus avec les remparts, mais aussi toutes les promenades offrant des points de vue et des sites de pique-nique très appréciés des Réunionnais : Piton Bois de Nèfles (hauts de Saint-Denis), sentier de Bon Accueil et parc des Platanes (hauts de Saint-Louis), Domaine du Relais (hauts de Petite Ile), Piton de l’Entonnoir (hauts de Saint-Joseph, Petit Serré, belvédère de l’Eden (Bras-Panon), massif du Libéria (Bras-Panon), site du Dioré (hauts de Saint-André), Roche Merveilleuse (Cilaos), Cap Anglais (Salazie), Notre-Dame de la Paix ; sans oublier tous les points de vue à pique-nique liés aux routes.

Les sites volcaniques

Cratère Commerson, Morne Langevin, Plaine des Sables, Pas de Bellecombe, Enclos, coulées…

Les anciens domaines

Maison Martin-Valliamée, à Saint-André.
Villèle, Bois Rouge, Les Colimaçons, Maison Martin-Valliamée, le Grand Hazier …, et les sites bâtis patrimoniaux (anciennes usines, distilleries, temples, îlets…).

Les cimetières

Cimetière à Saint-Louis, quartier Bel Air.
Cimetière marin de Saint-Leu.
Ils forment les jardins les plus charmants et émouvants dans l’île, toujours fréquentés et entretenus, avec leurs tombes comme des radeaux de fleurs, ombrées de frangipaniers, dont les plus célèbres sont les cimetières marins (Saint-Paul, Saint-Leu, …) ou accueillant des célébrités (Saint-Pierre, Hell-Bourg, …).

Les sites botaniques et agricoles

Le Jardin de l’Etat, 2022.

Jardin de la CAHEB (plantes à parfums), maison de Laurina (café), Labyrinthe en Champ Thé (thé), maison du Curcuma (épices), Far far de Besaves (canne, vétyver), jardin des parfums et des épices (Saint-Philippe), jardin de l’Etat, jardin d’Eden, sentiers botaniques (ND de la Paix, Mare Longue, Roche Merveilleuse, …), jardin du café grillé, etc. Des sites gérés en permaculture se sont également développés sur le territoire illustrant l’intérêt des pratiques d’agroforesterie sur l’île, le jardin de Paulo, Les jardins Fond Imar, La ferme urbaine du Tampon, etc.

Des paysages et des milieux naturels exceptionnellement riches en biodiversité

Le caractère isolé et insulaire de La Réunion a été favorable au développement d’une flore et d’une faune endémiques, constitutives d’ambiances singulières et de qualités paysagères diversifiées, reconnues au niveau monidal à travers l’inscription UNESCO des pitons, cirques et remparts :

« On trouve, dans le bien, des gorges profondes, partiellement boisées et des escarpements, avec des forêts ombrophiles subtropicales, des forêts de brouillard et des landes, le tout formant une mosaïque d’écosystèmes et de caractéristiques paysagères remarquables et très esthétiques ». Extrait de la Valeur universelle exceptionnelle du Bien « Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion » – Critère (VII)

« Critère (X) : Le bien est un centre mondial de diversité des plantes avec un degré d’endémisme élevé. Il contient les derniers habitats naturels les plus importants pour la conservation de la biodiversité terrestre des
Mascareignes, y compris une gamme de types forestiers rares. Compte tenu des impacts importants et partiellement irréversibles de l’homme sur l’environnement dans l’archipel des Mascareignes, le bien est le dernier refuge pour la survie d’un grand nombre d’espèces endémiques, menacées et en danger. »

« Un certain nombre de milieux naturels offre également des qualités esthétiques, liées soit à une ambiance, soit à une architecture remarquable, soit à des espèces, soit tout simplement à des formes.

La végétation altimontaine et les forêts de bois de couleurs des hauts sont souvent enveloppées par le
brouillard ou les nuages caractéristiques des hautes terres. Cette région de « Nebelwald » est attractive pour les Réunionnais avides de « changement d’air ». Les constructions végétales sont estompées ; les regards ne portent guère loin, d’où une sensation recherchée d’intimité avec un « coin » de la nature.

Parmi les architectures les plus appréciées se situent les forêts à fanjans dominants (col de Bellevue, en amont de la Plaine des Palmistes). Les livrées différentes, et discrètes, des mahots en pleine floraison, sont également remarquées.

La végétation altimontaine, disséminée sur les lapillis de la Fournaise, est à la fois surprenante et attractive : elle contribue à cet aspect « lunaire » que lui attribuent les visiteurs. »

Dossier de candidature des Piton, cirques et remparts de l’île de La Réunion, PN de La Réunion, 2008.

Parmi les paysages végétaux les plus originaux, se dégagent la forêt basse à Tamarin des hauts (Acacia heterophylla), les fougeraies-cycadaies, les pandanaies et pandanaies-palmeraies sous climat hyperpluvieux.

Une épaisseur et une temporalité précieuses des paysages

La Réunion, aussi petite qu’elle soit, ne se donne pas à voir et à parcourir d’un coup. L’ampleur des reliefs et les coupures qu’ils occasionnent allongent les temps de parcours. Les reliefs démultiplient aussi les possibilités de randonnées et de visites. Mais surtout ils offrent une intériorité à l’île grâce aux cirques et aux profondes ravines, qui la valorise considérablement. Cette épaisseur de La Réunion se renforce avec son rythme quasi quotidien des nuages qui apparaissent en fin de matinée, masquent les hauts l’après-midi, et disparaissent mystérieusement la nuit pour laisser place à de lumineux débuts de journées. Quant à la saisonnalité, si elle n’est pas aussi étendue en variété qu’en climat tempéré, elle contribue néanmoins à rythmer les paysages entre saison sèche et saison des pluies, que révèlent les changements de végétation à travers feuillages (caducs sous climat sec de l’ouest, ou changeant de couleur de façon spectaculaire comme la graminée dominante de la savane, Heteropogon contortus), fleurs (comme les floraisons des flamboyants, des jacarandas, mais aussi, en milieu naturel, des mahots et plus globalement des bois de couleurs) et fruits, comme les letchis qui marquent Noël (été austral) et les goyaviers qui annoncent l’hiver.

Cette épaisseur de l’espace et du temps de La Réunion est combattue par la recherche de mobilités toujours plus rapides, au risque de « réduire » l’île. Habiter une île qui nécessite du temps devrait plutôt inciter à démultiplier les centralités de vie locales plutôt qu’à les aspirer et les concentrer. C’est un des enjeux du SAR (schéma d’aménagement régional) que de déterminer ces équilibres.

Une civilisation végétale

La diversité des cultures rassemblées dans le melting-pot réunionnais a rencontré la diversité naturelle pour construire une civilisation végétale insuffisamment connue et reconnue. Elle saute aux yeux pourtant dès lors que l’on observe les modes de vie traditionnels et que l’on discute avec la population. Les plantes jouent un rôle social considérable qui se lit toujours dans le paysage : soin du jardin, échanges de boutures, prélèvement d’écorces pour les « tisanes », vitalité des marchés, fierté de la cuisine locale, débordement des balcons… et autrefois, il n’y a pas longtemps, constructions en paille, vétyver, lataniers, bambous et bois. Ce n’est qu’avec l’énergie fossile, abondante et pas chère, que les logiques du béton et du tout-voiture ont affaibli cette culture végétale dans la vie des Réunionnais. La lutte et l’adaptation au changement climatique, qui invitent à sortir de ces énergies fossiles, redonnent sens aux savoirs et savoir-faire en la matière : nature en ville, lutte contre les îlots de chaleur urbains, climatisation et ombrages naturels, circuits de proximité pour l’alimentation et la construction…

La forêt jardinée à Bois Blanc (Sainte-Rose).

Un patrimoine construit

Les jardins du musée Stella Matutina recyclant des héritages de l’ancienne usine sucrière pour les mettre en scène (Agence Folléa-Gautier paysagistes urbanistes).
La valeur des paysages de La Réunion est largement liée à la présence d’un patrimoine construit diversifié, qui agit comme le poivre, le sel ou le piment en cuisine : il relève leur saveur. Les grandes cases des rues en ville, les domaines et leurs allées et parcs, mais aussi les cases traditionnelles modestes, témoignent d’un art de vivre adapté au climat de l’île, fondement d’une culture architecturale et paysagère. Cette culture de l’habitat se manifeste en particulier par la varangue, interface délicieuse entre la case et le jardin, l’intérieur et l’extérieur, au contact des éléments naturels (le courant d’air, le végétal, la fraîcheur, la pluie) tout en s’en protégeant. Quelques trop rares bourgs ont réussi à résister au tout béton des années 1960-1970 pour préserver des ensembles construits patrimoniaux comme à Hell-Bourg et l’Entre-Deux. Mais chaque case traditionnelle est précieuse, fragile aussi malheureusement en étant souvent construite en bois, qui nécessite de l’entretien. Aux cases et aux jardins s’ajoutent les anciennes usines, encore signalées par les cheminées sombres de basalte, les ouvrages d’art des routes et du CFR, mais aussi les édifices religieux dans leur diversité, du temple tamoul à l’église en passant par le vivace autel rouge dédié à Saint-Expédit. Quant aux cimetières, sertis de murs de basalte chaulés ou peints en blanc, parfois ombragés de frangipaniers, ils constituent les plus beaux et émouvants jardins de La Réunion, avec leurs tombes comme des radeaux de fleurs, soigneusement entretenues.
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