Atlas / 5. Les processus, enjeux et orientations thématiques / Les paysages de l’habitat
5. Les processus, enjeux et orientations thématiques
Introduction :
puissance des transformations des 70 dernières années
Les valeurs paysagères clefs de La Réunion
Les paysages et l'eau douce
Les paysages et le littoral
Les paysages de nature
Les paysages agricoles
Les paysages de l'habitat
Les paysages des mobilités
Les paysages des énergies
Les paysages des activités et des équipements
Synthèse : les enjeux majeurs de paysage
Les paysages
de l'habitat
Processus
Le phénomène urbain
Le développement urbain : exemple à Saint-André en 1957, 2006 et 2020.
En 1957, l’urbanisation est à la fois linéaire autour de la route nationale (que longe le Ti Train) et diffuse sur les pentes et dans la plaine de Champ Borne, toujours à la faveur des voies. Saint-André reste une bourgade encore essentiellement linéaire, inféodée à la route principale.
En 1980, la déviation de Saint-André s’accompagne d’un épaississement et d’un début de structuration de la ville.
En 2006, le paysage urbain s’est densifié, la ville est constituée. Malheureusement, les extensions urbaines se sont poursuivies dans la plaine, au nord (Cambuston) et au sud. A l’est la plaine apparaît fragilisée par le phagocytage des espaces agricoles progressivement enclavés dans l’urbanisation. Les pentes apparaissent mieux maîtrisées, sans mitage, offrant de beaux paysages agricoles de canne.
Le développement urbain : exemple à Saint-Paul/Le Port/La Possession en 1957, 2006, 2020.
En 1957, Le Port est organisé en petit damier à partir du port créé 70 ans plus tôt. Saint-Paul est encore très peu développée.
En 2006, l’urbanisation du Port gagne désormais les abords de la RN 1, notamment sous forme d’équipements et d’activités en partie liés à la création du port est. Outre cette structuration des villes, l’urbanisation s’est largement diffusée sur les pentes : celles de La possession, celle de Bois de Nèfles Saint-Paul au Guillaume (au-dessus de l’étang) et celle de Plateau-Caillou/Fleurimont, (au-dessus du Cap la Houssaye).
En 2020, ce sont les projets de densifications urbaines qui se dessinent dans le grand paysage : La ZAC Cœur de Ville à La Possession, la future ZAC de Cambaie, des zones d’activités sur les berges de la Rivière des Galets.
Après la guerre et ses privations, plusieurs cyclones dévastateurs, dont celui de 1948, ont achevé de donner au paysage de l’habitat réunionnais le visage de la misère. La majeure partie des habitants vit dans des paillotes insalubres, sans eau courante ni électricité.
Dans ce contexte d’extrême dénuement, un arrêté ministériel du 4 octobre 1949 crée la Société immobilière du département de la Réunion (SIDR) : une société d’économie mixte dont les principaux actionnaires sont l’Etat et le Département, et qui est chargée de développer l’habitat social en favorisant l’accession à la propriété. Elle sera suivie d’autres sociétés à partir des années 1960.
C’est d’abord un phénomène urbain – et non de périurbanisation – qui marque le paysage de l’île à compter de cette époque. Les villes se structurent, les espaces agglomérés sont les premiers à ressentir les effets de cette croissance urbaine. « Entre 1946 et 1967, la population urbaine enregistrera une croissance annuelle de 4,7 %, ce qui ne se rencontrera plus jamais de nos jours » (JM Jauze).
Ce phénomène urbain n’est pas lié qu’à la croissance naturelle, il est aussi alimenté par l’exode rural à partir de 1950. Avec leurs équipements de réseaux d’eau et d’électricité, de services de santé, de commerces, les villes attirent irrésistiblement les populations rurales des hauts des communes, des cirques de Salazie et de Cilaos, de la Plaine-des-Palmistes.
Tandis que le paysage urbain se modifie profondément en se « durcissant » (voir ci-dessous « Les risques et les problèmes »), les bidonvilles se forment également, alimentés par les ruraux en exode ; « et la gêne de vivre dans les taudis du « Butor », de la « Rivière », ou du « Camp Ozoux », était largement compensée à leurs yeux par le fait qu’ils pouvaient aller au cinéma le dimanche avec un beau complet et des souliers jaunes, et que c’était moins pénible que d’être « haleur de pioche » (J. Defos du Rau).
Au total, six nouveaux centres s’ajoutent aux trois principaux d’avant-guerre : Saint-Louis, Saint-Joseph et Le Tampon dans le sud, Saint-Paul à l’ouest, Saint-Benoît et Saint-André au nord-est.
Les immenses efforts entrepris de création de logements sociaux, de résorption d’habitat insalubre, d’encouragement fiscal, ont été relatés dans l’ouvrage « 60 ans d’histoire urbaine » paru en 2010 (SIDR, Bernard Leveneur).
Sur des terrains souvent fournis par les municipalités, les lotissements poussent à travers l’île, offrant des « logements individuels à simple rez-de-chaussée, jumelés ou réunis en bande ». En 1958, la SIDR en possède 701. Ils commencent fortement à marquer les paysages aux abords des villes. De nouveaux quartiers naissent, avec leurs équipements publics.
Dans les années 1960, la disparition des grands bidonvilles en périphérie des centres urbains réunionnais devient une priorité. Ceux de Petite-Ile à Saint-Denis et de la rue Fémy à Saint-Louis ont déjà disparu. D’autres sont visés : les bidonvilles Rivière-Viadère, en bordure du nouveau quartier des Camélias, et Vauban, à Saint-Denis ; à Saint-Pierre, deux bidonvilles proches du front de mer, dont celui baptisé « l’ancien asile », situé à l’ouest de la prison ; au Port, le bidonville « terrain Curatelle »…
Dans les années 1960-1970, la puissance du développement démographique et économique conduit à la création de nombreux grands ensembles (au Chaudron, aux Camélias, à la Source, à Ravine-Blanche, au Port…), en écho à la politique nationale. L’urgence sociale conduit souvent à des aménagements durs, et les premières crises violentes, comme les événements du Chaudron en 1973, contraindront à rechercher un « mode d’habiter » plus humain.
De 1972 à 1976, la SIDR et la SHLMR réunies produisent 2 000 logements par an.
À la fin des années 1970, un nouveau concept apparaît : le LTS (logement très social), remplacé en 1986 par le LES (logement évolutif social). Il s’agit de permettre l’accession des ménages, même démunis, et ainsi de réglementer les lieux d’habitation et les normes de construction minimales. Un financement est accordé sous certaines conditions :
- des normes minimales d'habitabilité (les normes du code de la construction, auxquelles s'ajoutent les normes un peu plus strictes qui permettent l'octroi de l'allocation logement),
- la surface considérée est évolutive (plus importante que la surface habitable, elle permet au ménage d'agrandir au fur et à mesure de ses besoins),
- les ménages doivent rendre l'habitation plus confortable par leur propre travail.
Dans les années 1980 démarre la politique volontariste de résorption de l’habitat insalubre (RHI).
Les premières RHI (année 1980) portent sur les bidonvilles spontanés des communes de Saint-Denis, Saint-Pierre et du Port, sous forme de grosses opérations de démolition/reconstruction : Saint-Ange Doxile, Patate à Durand, Moufia, Ravine Blanche… Ces opérations ont nettement contribué à l’amélioration des conditions de vie.
Puis, dans les années 1990, le dispositif s’est étendu à une grande partie des communes avec dans un premier temps des opérations importantes sur des quartiers périphériques : Terre-Sainte, Portail…
À partir du milieu des années 1990, les opérations engagées sont de taille plus réduite (petits périmètres d’intervention, notamment dans le Sud de l’île) malgré quelques opérations d’envergure (Basse Terre, Rivière des Galets). Sur le plan social, pour les familles concernées c’est un changement radical de mode de vie, une réelle rupture avec leur ancien mode d’habiter.
Tous les efforts des dernières décennies se traduisent en chiffres. Rien qu’entre 1990 et 2004, le nombre de logements a crû de 55%, pour atteindre 286 000 logements (2006). En 2019, 17 760 habitats indignes sont recensés sur le territoire dans le cadre des diagnostics des plans intercommunaux de lutte contre l’habitat indigne (chiffres de l’observatoire Habitat Insalubre de l’Agorah) dont près de 40 % concentrés sur le Sud (Civis et Casud).
Le nombre de bâtis repérés comme indignes sur l’ensemble du territoire a évolué globalement en 10 ans de plus de 9 %. Seul le territoire de la Cirest a connu une baisse sensible de 4,5 % entre 2008 et 2018. Il en ressort par ailleurs, une insalubrité majoritairement diffuse dans le tissu urbain et non urbain, plus difficile à résorber, qui constitue le dénominateur commun à l’instar du constat marquant déjà établi en 2008.
Depuis 2001, un peu moins d’une soixantaine d’opérations de lutte contre l’habitat insalubre (RHI, RHS et OGRAL) ont été réalisées, ou sont encore en cours, pour une programmation d’environ 5 500 logements (réhabilitations incluses).
Certaines des cases insalubres recensées présentent une réelle qualité architecturale qui contribue à valoriser le paysage Réunionnais, grâce à leur type de construction et à l’usage de matériaux issus des modes de construction traditionnels (lambrequins, bardeaux, toit à quatre pans…). Elles sont particulièrement nombreuses sur la micro-région Sud, où se concentre un tiers des cases de valeur (d’après l’AGORAH). Il y a là un réel enjeu pour que la « résorption » de l’insalubrité se traduise non pas par une démolition mais par une réhabilitation/reconstruction.
Le SAR, approuvé en novembre 2011, tablait sur l’hypothèse de l’atteinte du million d’habitants à l’horizon 2030. La réponse aux besoins en logements était donc de 180 000 logements à construire sur la période, soit 9 000 par an. Depuis, l’INSEE a revu ses projections démographiques à la baisse et les besoins d’ici 2035 sont évalués à 7 700 logements privés et sociaux nouveaux par an (étude INSEE – DEAL de 2018).
Ainsi La Réunion comptait, au 1er janvier 2021, 334 905 résidences principales dont 78 957 logements sociaux. Par ailleurs la vacance de tous types est de 13 % à La Réunion. La vacance structurelle retenue, soit de plus de 1 an, est de 6 %, soit 22 835 logements vacants avec un taux maximum de 7,3 % sur la CINOR.
La Réunion n’a pas fini de s’urbaniser, et ce processus est au cœur des enjeux de paysage : comment préserver les espaces agricoles et naturels, notamment dans les mi-pentes et les bas soumis à cette pression ? Comment les villes durables agréables à vivre, socialement équitables, économiquement viables peuvent-elles influer sur les processus d’urbanisation spontanée des mi-pente et des Bas ?
L'essaimage de l’urbanisation, le mitage
Évolution du paysage habité : exemple à Petite Ile/Saint-Joseph en 1957, 2006 et 2020.
En 1950, l’urbanisation est traditionnellement diffuse sur les pentes de Petite Ile et de Saint-Joseph. Les habitants vivent sur les terres qu’ils cultivent. Saint-Joseph n’est qu’un village. Les constructions peu nombreuses se fondent dans le paysage par les matériaux naturels utilisés (paillottes, bois) et par les cultures de proximité plus ou moins arborées qui noient les cases. En 2008, la carte fait apparaître à la fois la densification autour des centralités de Saint-Joseph et de Petite Ile et la poursuite de la diffusion du bâti dans les pentes. Le paysage apparaît nettement plus urbanisé, pas seulement par le nombre de constructions sorties de terre, mais aussi et surtout par leur caractère nettement moins discret et fondu dans l’espace agricole et naturel : cases en dur, souvent blanches et raréfaction des espaces agricoles de proximité (à la végétation foisonnante), remplacés par des jardins dégagés (pelouses). En 2022, l’étalement urbain est ralenti et se concentre à la périphérie des zones urbaines de Petite Ile (Ravine du Pont) et de Saint-Joseph (à la faveur de la déviation). Le phénomène de durcissement de l’architecture des constructions se poursuit.
Ce sont principalement le quartier de la zone commerciale du Portail et la zone d’activité de l’Eperon qui apparaissent comment fortement marqueurs d’une polarité commerciale affirmée développée en façade de la route des Tamarins.
- La modernisation du milieu rural, après celle des villes, le rend à son tour attractif, une fois équipé des réseaux indispensables au confort moderne,
- Les facilités de déplacements offertes par la voiture individuelle, qui se généralise, rendent possible cet éloignement croissant entre habitat et travail,
- Le coût élevé du foncier bâti oblige les ménages moyens ou modestes à s'éloigner des secteurs les plus prisés,
- L'écart croissant de la valeur entre terrain constructible et terrain inconstructible pousse à l'ouverture à l'urbanisation des terrains agricoles ou naturels,
- La réforme agraire des années 1970 parcellise les grandes propriétés de la « plantocratie » : la plus grande part des anciens « grands domaines » est acquise par des sociétés de type SAFER, qui les redistribuent à de petits propriétaires. Cette atomisation de la propriété foncière facilite le mitage,
- Les lois de défiscalisation successives, à partir de 1986, dopent le bâtiment,
- Enfin le laxisme en termes de police de l'urbanisme encourage l'urbanisation sauvage et spontanée des terres, malgré leur rareté.
Aujourd’hui les agglomérations urbaines présentent toujours une occupation lâche, avec 6,6 logements/ha et le processus de mitage reste une réalité : habitat spontané incontrôlé, manque d’offre alternative de logements, perpétuation d’un mode « culturel » d’habiter répondant par ailleurs aux attentes supposées de la population (maison et jardin), même si le paysage produit n’a plus rien à voir entre l’habitat dispersé traditionnel et le lotissement contemporain.
Toutefois, la conscience des risques et problèmes liés à cette forme d’urbanisme, grandissante au cours des années 1990 et 2000, conduit à un ralentissement du phénomène (étude AGORAH) et à l’émergence d’un désir d’urbanité : la densification, la rénovation urbaine, l’offre récente d’espaces publics urbains, contribuent à cette évolution naissante.
En 2022, on constate un ralentissement du phénomène de mitage dans l’ouest. C’est la densification des quartiers des hauts qui domine à travers des lotissements aux parcelles étroites et denses et surtout de nombreuses opérations de collectifs qui s’imposent dans la pente. (La Saline, la Saline les hauts, Barrage, La Chaloupe Saint Leu…). La densité développée ne s’accorde pas avec les capacités du site à recevoir des opérations de grande ampleur au regard du relief, de la perception de ces bâtiments dans la pente et de l’absence d’un urbanisme végétal adapté.
Les sols artificialisés poursuivent leur extension ; mais le rythme s’est sensiblement ralenti. Alors que l’artificialisation des sols progressait de 440 ha/an entre 1992 et 2000 ; sur la période plus récente de 2006 à 2015, cette croissance se situe à un niveau plus modéré, estimé en moyenne à 310 ha par an. Cette tendance s’explique par les orientations en matière d’urbanisation, qui visent désormais à densifier la tâche urbaine, d’autant plus facilement ici que celle-ci est en effet particulièrement étalée à La Réunion où l’habitat individuel occupe plus de la moitié de l’espace urbanisé (DAAF La réunion La protection du foncier agricole – octobre 2015).
Des mi pentes habitées coupées des espaces de nature
La forte pression d’habitat sur les mi pente accentue fortement la mutation des paysages. Dans l’ouest, depuis les bords de route, les espaces agricoles et de nature s’effacent totalement au profit d’une densification des espaces habités. Les transparences visuelles sur le paysage deviennent très rares.
L’insertion des bâtiments collectifs est difficile dans la pente et certaines échelles de bâtiment ont des difficultés à trouver leur place.
Les équipements (école, gymnase) rendus nécessaires par l’essor démographique forment également des éléments marquants dans le paysage et souvent implantés en bord de la voie principale.
Enfin, les liaisons douces (piétonnes et vélos) restent difficiles le long des voies sinueuses, étroites et pentues. Dans ce contexte de densification, les espaces de nature sont rares et peu accessibles ; les ravines envahies de plantes exotiques ne sont plus appropriées par les riverains. Les espaces de proximité sont peu présents. L’urbanisation des mi pentes accentue la dépendance à la voiture, aux grandes polarités commerciales et de service en évoluant vers une forme de cité dortoir.
L’émergence de quartiers durables
Depuis une dizaine d’années, les projets de quartier sont menés dans le cadre de démarches actives de concertation et de sensibilisation auprès des usagers. Une meilleure compréhension des usages et des modes de vie, mais aussi de l’évolution des besoins et des modes d’habiter ont permis de construire des quartiers plus proches des habitants : amélioration de l’appropriation des espaces publics, implication des habitants dans des projets associatifs (jardins, activités de vie de quartier…), quartier des courtes distances. Le lien au jardin et à la terre, oublié dans les opérations de grands ensembles, est réapparu à travers des opérations de résidentialisation, de jardins collectifs, de parcs urbains ou de proximité. Pourtant, le rêve de la « case à terre », (comme le jardin pavillonnaire en métropole) est toujours présent. Ce phénomène, qui s’ancre dans la mémoire en référence à l’habitat traditionnel s’est accentué par la crise sanitaire de 2020-2022 qui a imposé une vie sédentaire, et un sentiment vital de proximité d’espace de nature.
Dans les zones rurales, l’habitat s’inscrit souvent autour du noyau familial des parents agriculteurs sur un lopin de terre divisé et distribué aux enfants. Les maisons contemporaines des enfants forment un nouveau hameau regroupant la famille élargie.
« Ma famille habite à Bassin Plat dans une maison modeste entourée de champs de canne. Autour, de grandes maisons à étage se construisent ; il en ressort un paysage urbain- rural typique de La Réunion »
Kevin Pavadepoule – Chambre d’agriculture
À cela s’ajoute, l’amélioration souhaitée des conditions de mobilité (alourdissement des temps de déplacement lié à la saturation du réseau, encouragement du télétravail et des mobilités douces…), qui favorise l’ancrage dans un quartier, bénéficiant d’équipements, de services de proximité et d’espaces de nature urbain de proximité. L’évolution du mode d’habiter réunionnais doit aujourd’hui concilier ces enjeux de société, exacerbés en territoire insulaire. Écocité et ZAC Cœur de ville La Possession, Ravine Blanche, Zac Beauséjour, sont des témoins récents d’une évolution en ce sens.
Les îlets, des fondements paysagers en lien avec l’histoire locale
Installation adaptée à la morphologie des îlets
À l’époque du marronage, la géomorphologie des îlets a longtemps joué un rôle primordial dans l’installation des habitants. Les reliefs escarpés et dangereux du cirque constituaient la meilleure des protections pour les esclaves en fuite. Le paysage mafatais est effectivement dessiné de talwegs plus ou moins profonds permettant de drainer les eaux profitables aux cultures et de fertiliser naturellement les sols. « Les mafatais cultivaient au fil de l’eau ». C’est pour cela que les paysages d’îlets ont souvent deux aspects : champs ouverts dans le talweg et systèmes forestiers sur les talus dédiés à l’exploitation de bois ou au fourrage des cabris. Les plateaux en pente, les impluviums et les lisières forestières ont facilité l’accès à l’eau, la sédentarisation des populations par un habitat groupé, éparse ou linéaire.
Les sentiers constituaient autrefois de réelles lignes de vie. Sentes discrètes à l’origine, ils ont évolué, entretenus par les habitants, pour répondre aux besoins liés à la culture et aux échanges avec l’extérieur du cirque. En 1945, les sentiers étaient essentiellement parcourus par les 2 149 habitants. Aujourd’hui on compte 100 000 à 130 000 visiteurs/an parcourant les sentiers.
La limite entre le sentier et la concession joue un rôle primordial dans la qualité même des cheminements (privés ou communs), leur pérennité et l’attractivité des îlets (source : Schéma expérimental de Quatre Ilets – Mafate – PNR).
Effacement du jardin vivrier au profit d’un tourisme de masse
Le jardin nourricier constituait le paysage des îlets. La concession « habitée » a porté longtemps une valeur vivrière, apportant providence et protection.
L’habitant cultivait et élevait à proximité de la case. Le jardin a été et est toujours un élément fondateur du paysage du cirque. De fait, les cœurs d’îlet habités étaient habillés de potagers, de vergers et de cultures de géranium. Des jardins nourriciers des habitants majoritairement dédiés à une auto-alimentation subsistent. Seulement 5% des aliments produits à Mafate sont servis dans les assiettes des visiteurs.
Lors de l’abolition de l’esclavage, le paysage du cirque a été largement défriché pour le bois, source d’énergie et la mise en culture des terres. Aujourd’hui le paysage de Mafate est dominé par les friches agricoles. Le développement touristique impose un rythme d’activité qui contraint le temps disponible des habitants dédies aux activités agricoles. Les friches, envahies par les plantes invasives se développent et les principes vertueux telle que l’agroécologie s’effacent des mémoires (source : Schéma expérimental de Quatre Ilets – Mafate – PNR).
La ressource en matériau de construction
La pandémie du COVID en 2020-2022 a bouleversé les règles du transport international, le fret maritime devient plus cher et la desserte de La Réunion devient plus rare. Le coût du transport maritime s’envole et les matières premières se raréfient. Les containers manquent, les délais d’acheminement s’allongent et les difficultés d’approvisionnement se font ressentir. Cette crise ne fait qu’accentuer une situation déjà latente sur l’île.
La Réunion est importatrice nette en matériaux de construction dans un contexte de forte demande en constructions neuves et en rénovations. Cette demande est amenée à croître dans les années à venir, en lien avec l’accélération de la croissance démographique que prévoit l’INSEE : une augmentation de 28 % de la population entre 2013 et 2050 est envisagée selon l’institut. L’accentuation de la pression foncière liée à une demande élevée, elle-même corrélée à une faible surface constructible déjà fortement sollicitée, va donc s’exercer.
Enjeux
Le durcissement de l’architecture : de la paille et du bois à la tôle, et de la tôle au béton
L’architecture se modifie profondément en se « durcissant ». Encore en 1950, sur les 60 000 maisons que compte l’île, seulement 5 000 sont en maçonnerie ; plus de la moitié sont en bois ; les autres sont des paillotes, construites en torchis et couvertes de palmes. Rapidement les centres agglomérés perdent « cette allure de villages africains qui les caractérisait, pour se parer de leurs nouveaux habits de villes françaises » (JM Jauze) : les paillotes disparaissent, les maisons en bois également, cédant la place à une multitude de petits immeubles : certes désormais résistants aux cyclones et dotés du confort moderne ; mais posant de graves problèmes de paysage et d’environnement : en cubes de béton disgracieux, surchauffés par le soleil et sans jardin.
Un lourd héritage architectural récent dévalorise ainsi les paysages habités et urbanisés de l’île, constituant autant de « points noirs » nécessitant de gros et sérieux efforts de réhabilitations et requalifications. C’est d’autant plus vrai qu’ils s’ajoutent à un espace public souvent non qualifié, victime de logique routière et de réseau aérien envahissant. Il s’agit certes d’investissements longs et coûteux, mais qui, en certains endroits, permettraient de mettre en adéquation la réalité du paysage avec les flatteuses appellations touristiques de « villages créoles », un peu hâtivement apposées, et qui provoquent de cruelles désillusions pour les touristes attirés par ces labels.
Les cirques
À Mafate, face aux tendances au durcissement des constructions, différents acteurs ont accompagné le développement de l’architecture dans le cirque afin de respecter l’esprit vernaculaire tout en intégrant les composantes de confort (CAUE, PNR…).
À Salazie et Cilaos, la qualité architecturale est largement moins présente. Le durcissement des habitations est nettement lisible.
Le durcissement du paysage urbain
Outre l’aspect proprement architectural du bâti, le durcissement s’observe plus largement sur le paysage urbain, par de nombreux phénomènes ; on en identifie ici une dizaine :
La densification des tissus construits
Disparition des quartiers de cases noyées dans leurs jardins, remplacés par des immeubles plus massifs et sans végétal d’accompagnement ; le développement urbain peu contrôlé des pentes est un des facteurs d’évolution les plus marquants du paysage urbain de ces dernières décennies : quartiers résidentiels marqués par la promotion privée, opérations gérées à la parcelle avec un manque de vision paysagère et urbaine, absence de structuration qui transforme des pentes paysagères en pentes « bétonnées » avec la disparition de la végétation des jardins, l’absence de traitement des déplacements doux (piéton, vélo) et un manque de recul pour l’observation des paysages.
L'élargissement des voies
Pour le passage du trafic routier grandissant, au détriment des espaces publics plantés voire des espaces privés des jardins attenants.
La minéralisation des espaces publics
Noyés sous de vastes tapis d’enrobé, pour satisfaire les besoins des déplacements et stationnements voitures, mais aussi parfois pour réduire les coûts d’entretien des « espaces verts » ! Ce phénomène contribue puissamment à la mauvaise image des villes et bourgs de La Réunion et à l’inconfort des espaces publics, surchauffés, imperméabilisés, entièrement dévolus aux voitures, sans espace, ni ombrage, ni fraîcheur pour les piétons.
« Nous sommes dans une société qui n’accepte plus l’arbre. Il faut l’expliciter et en faire une catharsis. Tous les politiques te disent « j’adore les arbres » et dès qu’il grandit, on le taille, l’étête et le massacre. En réalité notre société ne supporte pas l’arbre, c’est l’ennemi ».
Michel Reynaud, architecte, paysagiste, membre de la SREPEN
La transformation des routes habitées plantées en rues banalisées et minéralisées
Avec création de trottoirs en dur là aussi en remplacement de surfaces végétales (plantations d’espaces publics, fossés enherbés, clôtures végétales, jardins).
L’encombrement de l’espace public
Non seulement par les voitures, mais aussi par le mobilier et la signalisation.
La disparition des clôtures végétales
La disparition des clôtures végétales et des transitions douces entre espace public et espace privé, auxquelles se substituent des murs opaques en dur, de béton ou de parpaings et des portails hétéroclites ; un phénomène favorisé par l’élargissement des voies, qui les rend plus routières, plus rapides et plus agressives, et dont les riverains se protègent.
L’émergence de murs de soutènement disproportionnés
Ils sont dus à des conceptions de bâtiments qui n’intègrent pas la réalité de la pente dans le projet architectural. Conçu pour terrain plat, le bâtiment nécessite alors des terrassements qui, avec les fortes pentes de l’île et l’exiguïté des terrains, obligent à créer des murs de soutènements disproportionnés et chers. Ces murs, en particulier lorsqu’ils sont laissés en béton ou parpaing brut, apparaissent fortement dans le paysage habité et contribuent à le « durcir » de façon désagréable.
« On constate une banalisation de l’architecture sur l’ensemble de l’île, le long des routes, les murs de clôtures et les importants terrassements deviennent la norme. »
Albine Jaubert, Paysagiste, PNR
La perte de couleur du bâti
Qui, en blanchissant, tranche fortement avec la densité des teintes du végétal.
La raréfaction d’espaces agricoles de proximité
Notamment dans les villages et les îlets : consommés par l’urbanisation ou abandonnés à la friche plus ou moins spéculative ;
Urbanisation des îlets et disparition du paysage agricole de proximité : exemple à Cilaos
En 1957, l’espace aplani des îlets est partagé entre l’urbanisation et les cultures. En 2006, les cultures se cantonnent dans des espaces résiduels, disposant de peu d’espace pour afficher des spécialités pourtant propres à Cilaos et à forte valeur ajoutée : vigne, lentilles. À Bras Sec en outre, l’abandon d’espace agricole se traduit par une extension de la couverture boisée. En 2022, l’habitat de Bras Sec se développe dans un tissu lâche laissant peu de places aux espaces cultivés.
L'absence de transitions arborées entre urbanisation et espaces agricoles (lisières urbaines)
La création de quartiers fermés sur eux-mêmes (gated communities)
Protégés par grilles et codes d’accès : phénomène encore marginal mais qui contribue à la négation de l’espace public comme lien social et au durcissement du paysage urbain.
Outre les graves problèmes de paysage, ces multiples processus causent d’autres difficultés comme :
-
L'imperméabilisation grandissante des sols qui pose des problèmes de gestion de l'eau et de pollution. Voir partie
5. Les processus, enjeux et orientations thématiques > Les paysages de l’eau douce. - L’aggravation du problème de la chaleur captée par le bâti, posant des problèmes de confort, de santé publique et renforçant l'usage de la climatisation et contribuant au réchauffement climatique et à l'aggravation de la dépendance énergétique.
Ainsi, la « densification », leitmotiv répété depuis quelques années pour un développement durable de l’île, moins consommateur d’espace, pose-t-elle un sérieux défi en matière de paysage : la capacité à construire un cadre de vie qui soit à la fois plus urbain, plus dense et en même temps plus vert, plus ombragé et plus perméable. La réponse à cet enjeu tient dans le développement de politiques d’espaces publics fortes et volontaristes. La densité sans urbanisme végétal conduirait à une catastrophe paysagère, par une dégradation des cadres et modes de vie.
Le vieillissement de centres anciens
Concurrencés par le développement des centres commerciaux et des lotissements en périphéries, des centres urbains offrent encore une image vieillissante malgré la prise de conscience et les efforts entrepris depuis quelques années : domination routière au détriment des modes doux, envahissement des voitures et du trafic, enseignes commerçantes colonisatrices et non maîtrisées, vieillissement du bâti et points noirs architecturaux, aspect minéral dur…
Le manque de considération à l’égard de l’arbre
Les arbres les plus ombrageants dans la ville sont souvent ceux qui se développent généreusement dans les jardins, comme les manguiers débordant sur la rue qui apportent de la fraîcheur à la cité. Les contraintes de partage de l’espace urbain sont souvent défavorables aux plantes qui ont besoin de sol, d’eau et d’air pour pour se développer. Les arbres et palmiers sont encore souvent considérés comme du mobilier urbain. Lorsqu’ils gênent, ou qu’ils vieillissent, ils sont coupés et rarement remplacés dans des conditions optimales pour le végétal (sol, eau, entretien, etc). On oublie que ce sont des êtres vivants et que leur présence bienveillante impose un long temps de maturation. Leur présence essentielle sous notre climat tropical n’est pas encore une évidence. Les communes qui ont développé des projets ambitieux de plantation en retirent aujourd’hui les bénéfices en termes d’agrément, de confort urbain et de santé publique : la ville du Port, notamment, en conditions naturelles difficiles, a su développer par le passé une trame arborée généreuse le long des rues, de même que Saint-Denis et ses trottoirs ombragés du Boulevard Sud.
Avec la prise de conscience du changement climatique, certaines communes comme Saint-Denis prônent la ville jardin et le concept de forêt urbaine. Le CAUE a engagé depuis 2016 un recensement des arbres remarquables à La Réunion, sur un mode participatif. L’inventaire vise à faire connaître les arbres remarquables pour les protéger et les valoriser.
L’érosion du petit patrimoine construit : perte culturelle, sociale et économique irrémédiable
La Réunion a bénéficié d’une mise en valeur de son « grand » patrimoine culturel au cours des dernières décennies : rachat et restauration de grandes cases en milieu urbain (à Saint-Denis notamment), remise en valeur d’anciens domaines (Villèle, Colimaçons-les-Hauts, Maison Rouge, Martin-Valliamée, …), d’anciennes usines (Stella, les salines de Pointe au Sel, Vue Belle…). D’autres éléments du patrimoine perdurent par eux-mêmes, par le maintien de pratiques qui assurent leur pérennité : c’est le cas des cimetières fleuris, les plus beaux et les plus émouvants jardins de La Réunion.
À une échelle plus fine en revanche, et sans qu’il soit simple de le quantifier, le « petit » patrimoine de pays disparaît inexorablement, ôtant à La Réunion une part de son âme, de sa personnalité, de sa saveur : une petite case par-ci, un jardin par-là, une boutique traditionnelle encore par-là, etc.
À la demande du SDAP (Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine), Daniel Vaxelaire a réalisé dans les années 1990 tout un inventaire de ce patrimoine, qui a donné lieu à un ouvrage (« Trésors ! Le patrimoine caché de La Réunion », Azalées éditions 1996). La DRAC a de même effectué des inventaires des petites cases. Mais ces efforts n’ont pas été traduits dans les politiques publiques locales : identifications aux documents d’urbanisme, acquisitions et rénovation, soutien à la gestion et à l’entretien, valorisation économique et touristique…
« Dans les sites pas reconnus, les paysages patrimoniaux urbains sont peu valorisés, peu qualitatifs, en voie de dégradation. Émiettement de patrimoine bâti : anciens sites des usines sucrières, patrimoine bâti lié au CFR pas valorisé malgré les vestiges, au Port la place des cheminots, les quais, quelques reliquats de canaux dans la savane, … L’empreinte humaine passée n’est pas valorisée ».
Olivier Chevalier, directeur de l’aménagement, TCO
Les éléments de ce patrimoine fragile sont nombreux : les maisons de villes, de banlieues, le « changement d’air », les champs, les commerces, les lieux de savoir (écoles, collèges…), de santé (lazaret…), de prière, les jardins, les cimetières, les canaux, les usines, les minoteries et moulins, les ponts, les marinas et les ports, les batteries et poudrières, les fontaines, les escaliers, les puits, les entrepôts, … Il ne s’agit pas de les mettre sous cloche, mais au contraire de leur imaginer de nouvelles affectations pour qu’ils soient entretenus et perdurent.
Au-delà de ces « objets construits » qui font patrimoine, on peut considérer que certains ensembles composent un paysage à caractère patrimonial, précieux pour la mémoire, la culture, l’histoire et l’identité insulaire, outre la valeur touristique qu’ils peuvent prendre par ailleurs. Les anciens domaines, associant la maison principale, le jardin, les dépendances et l’espace agricole, en font partie au premier chef. On peut aussi citer certaines portions de routes « lignes de vie », où la « symbiose » harmonieuse et délicate s’opère entre les cases, la route et la nature jardinée qui environne l’ensemble, telle qu’elle a été initialement identifiée dans l’Est avec la RN2 dans l’ouvrage « Paysage Côte Est » (B. Folléa, CAUE, 1990). C’est le cas du chemin du Tour des Roches, qui mérite depuis longtemps une réhabilitation à caractère patrimonial, et de routes habitées de fonds de ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin…). Les îlets sont également des paysages patrimoniaux fragiles : havres de fraîcheur et d’accueil perdus dans la rudesse sauvage des temples de l’érosion que forment les cirques, ils constituent de précieux témoignages de la vie dans des conditions hors du commun de montagne tropicale. Enfin, en milieu urbain, le bourg de L’Entre-Deux est le seul, avec Hell-Bourg, à avoir su préserver un ensemble bâti et végétal à caractère patrimonial, ce qui n’empêche pas d’observer des processus de banalisation et affaiblissement de qualité paysagère et d’ambiance.
Ailleurs, des quartiers-jardins composent des paysages culturels qui méritent d’être identifiés avant que des opérations de densification ne les fassent totalement disparaître.
La disparition des espaces de respiration (coupures d’urbanisation) et des sites bâtis
L’urbanisation est parfois étroitement inféodée à un lieu particulier, constituant alors un site bâti qui, perceptible de loin, contribue à la qualité du paysage : une baie, un piémont, un sommet, un bord de rivière, un replat…
À La Réunion, ce sont les îlets dans les cirques qui composent les sites bâtis les plus remarquables et spectaculaires. Ailleurs, la relative régularité des pentes ne contribue pas à « caler » le développement urbain dans une topographie particulière.
Aussi l’urbanisation tend-elle insidieusement à effacer les espaces de respiration (ou coupures d’urbanisation), souvent agricoles, qui séparent les bourgs les uns des autres. C’est d’autant plus vrai que la contrainte de la pente incite à urbaniser en linéaire, au fil des routes qui relient les bourgs les uns aux autres. Par ce processus, une conurbation périphérique du pourtour de l’île se met en place.
Outre les problèmes de consommation d’espace agricole et naturel (voir 2.1. La fragilisation des paysages agricoles), le phénomène de conurbation gomme l’identité de chaque bourg, efface les repères, oblige les habitants à vivre dans des espaces urbains continus, indifférenciés et éloignés des sites de nature ou de loisirs de proximité. Par ailleurs il provoque des conflits d’usage entre urbanisation et infrastructures, baissant à la fois la qualité de vie (autour des voies) et la qualité de circulation (intra-urbaine, sans efficacité inter-urbaine). Dans ce contexte, les rares sites bâtis intéressants du littoral tendent à être débordés par l’urbanisation, malgré les dispositions de la Loi Littoral en faveur des coupures d’urbanisation : à Saint-Paul (Grande Fontaine), à Boucan Canot, à Saint-Gilles, par exemple, l’urbanisation remonte du piémont, atteint les pentes et gagne les crêtes de façon continue et indifférenciée.
Orientations
Structurer le développement urbain en archipel plutôt qu’en linéaire
Objectifs
- Stopper la surconsommation d'espace agricole et naturel par l'urbanisation, reconstruire sur la ville, selon le principe du zéro artificialisation nette (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience d’août 2021.
- Améliorer la qualité de vie.
- Améliorer la qualité paysagère depuis les infrastructures de déplacements.
- Réduire la dépendance à la voiture et les émissions de GES (gaz à effet de serre).
Principes
- Stopper l'urbanisation linéaire au fil des routes.
- Conforter les centralités existantes et promouvoir un urbanisme des courtes distances (voir l'orientation : « Développer un urbanisme des courtes distances »).
- Identifier préserver aux documents d'urbanisme les ouvertures visuelles (notamment depuis les routes) et les coupures d'urbanisation.
- Penser concomitamment le développement urbain et agricole, dans un système agro-urbain (voir 2.2. L’archipel agro-urbain : un mariage apaisé de la ville et de la « campagne » réunionnaises).
- Créer des lisières urbaines, transitions plantées à l'interface quartiers/espaces agricoles ou naturels (voir l'orientation : « Aménager des lisières urbaines »).
- Mailler les quartiers par des systèmes de transports en commun à la fois urbains et interurbains .
Illustrations
Développer un urbanisme des courtes distances
Objectifs
- Limiter les émissions de GES.
- Améliorer la qualité de vie en supprimant des déplacements motorisés contraints, coûteux et chronophages.
- Reconnaître les services des territoires ruraux, qui ne sont pas qu’une source de foncier bon marché : ils produisent nourriture et eau propre, ils sont le lieu de détente, de découverte et de préservation d’un patrimoine et de savoir-faire.
- Lutter contre les inégalités sociales en réduisant les inégalités d’accessibilité, qu’elles soient liées aux ressources ou aux capacités physiques de mobilité (personnes âgées, enfants…).
Principes
- Développer des quartiers intenses, c’est-à-dire offrant des possibilités d’y vivre au quotidien, de travailler et de se divertir à proximité (l’inverse des quartiers dortoirs).
- Développer des quartiers plus denses, pour consommer moins de sol et donner les conditions de l’intensité urbaine en créant une zone de chalandise suffisante pour l’installation et le développement des commerces de proximité, de services publics et des équipements.
- Développer des quartiers accueillants et propices aux circulations douces (piétons et vélos), aux rencontres et aux échanges, grâce à des espaces publics de qualité et une porosité des quartiers.
- Développer des quartiers bien desservis en transports en commun, offrant à leurs habitants une mobilité vers la ville et les espaces de nature, vers leur lieu de travail ou de loisirs.
- Offrir un accès à des espaces extérieurs, et notamment à un jardin ou à des espaces de nature proches (espaces agricoles, ravines, littoral, forêt…).
- Offrir un environnement calme et paisible.
- Garantir une intimité préservée.
- Proposer des surfaces et une composition du logement qui s’adaptent aux usages ou aux changements familiaux.
- Proposer un coût de logement accessible à tous.
Illustrations
Promouvoir l’urbanisme végétal
« L’arbre est un outil pour faire changer les mentalités. »
Michel Reynaud, architecte, paysagiste, membre de la SREPEN
Objectifs
- Conforter la « civilisation végétale » créole, la culture du jardin.
- Faire passer la culture du jardin de l’espace privé à l’espace public.
- Accompagner qualitativement et « compenser » la densification et lastructuration nécessaires des villes et des bourgs par les structures végétales.
- Contribuer à une ambiance douce, authentique et tempérée des villes et des bourgs.
- Améliorer la qualité des espaces publics urbains.
- Améliorer l’attractivité des villes et des bourgs.
- Promouvoir la (re)découverte des essences indigènes.
- Promouvoir la place de l’arbre et des forêts dans les espaces habités.
Principes
- Favoriser une densité urbaine : logements collectifs, mitoyenneté… tout en limitant l'imperméabilisation des sols.
- Favoriser l'ambiance végétale et jardinée des quartiers.
- Réserver les espaces et les moyens nécessaires à la plantation arborée des espaces publics et à leur gestion.
- Offrir des espaces publics de fraîcheur avec ombre (arbres) et/ou eau.
- Favoriser les circulations douces confortables, efficaces, sûres.
- Favoriser une architecture offrant des espaces végétalisés et plantés : selon les cas balcons, terrasses, loggias...
- Promouvoir l'imbrication bâti-végétal.
- Harmoniser les hauteurs bâties avec celles du végétal.
- Prévoir les liaisons interquartiers, y compris à travers les ravines (radiers, passerelles…).
- Mettre en scène et qualifier les entrées de ville, transitions entre espaces de nature et espaces urbains : les portes de villes plantées.
- Parachever l'urbanisme au contact des espaces de nature : organiser le paysage et l'architecture des transitions = les lisères urbaines.
- Développer les accès publics aux espaces de nature (selon les cas plages, mer, espace agricole, forêt, savane…).
- Ouvrir les villes à la mer : organisation urbaine, vues, accès, espaces publics de qualité, protecteurs contre l'océan ou les vents...
- Mettre en valeur les débouchés des ravines en espaces naturels urbains.
- Favoriser les plantations arborées à l'aval de l'urbanisation : protection de l'océan (et du lagon sur l'ouest) contre les écoulements pluviaux pollués (y compris la forêt littorale).
- Promouvoir une gestion différenciée pour les espaces plantés.
- Le cas échéant promouvoir une utilisation raisonnée de l'eau et notamment l'utilisation de l'eau non potable pour l'arrosage des plantations.
- Promouvoir l'utilisation d'essences locales adaptées dans les jardins et espaces publics.
Illustrations
L’urbanisme végétal : le défi d’une densité urbaine vivable
Globalement, sur l’ensemble de l’île, le paysage urbain apparaît largement valorisé par les relations intimes développées entre le bâti et le végétal. Le phénomène est bien sûr plus marquant dans les parties les plus arrosées de l’île : est et hauts, où la palette végétale est la plus large. Cette relation est d’ordre culturel, développée en particulier à travers l’art des jardins créoles. « Le jardin est l’art supérieur de la civilisation créole », ont écrit M. et A. Leblond à propos des îles sœurs Réunion et Maurice. La passion des Réunionnais pour les plantes, qu’elles soient décoratives, alimentaires ou médicinales, les a toujours conduits à s’environner d’un univers végétal soigneusement composé :
- Les plantes à fleurs sur le devant de la case, côté espace public, bien visible, en accompagnement de la façade principale de la case la plus soignée,
- Les plantes utilitaires sur les côtés et par derrière, mêlées en une élégante « nature jardinée » à plusieurs strates, où se juxtaposent palmistes, arbres à fruits, arbustes et herbes,
- L’ombrière pour les plantes de sous-bois les plus fragiles, fougères et orchidées notamment. Bien souvent, à condition qu'on leur en offre la possibilité, les habitants font généreusement déborder leur jardin sur l'espace public.
- La varangue apparaît ainsi comme la pièce la plus agréable de la case, à la fois abritée et ouverte au jardin, intermédiaire entre l'extérieur et l'intérieur ;
- Les motifs architecturaux et les jeux d'ombre qu'ils procurent contribuent également à marier la case au jardin : bardeaux, lambrequins, pilastres nervurés, s'accordent avec les feuillages, leurs découpes et leurs propres ombrages ;
- Enfin la couleur de la case joue traditionnellement avec celle du végétal : tons délicatement pastel pour les cases les plus nobles et les plus grandes, tons plus vifs pour faire ressortir les cases les plus petites et modestes au sein de leur écrin végétal.
Au final, le paysage urbain traditionnel est largement valorisé par l’espace privé jardiné, pour le bénéfice de tous. Il est aussi un facteur important de lien social, par les échanges de plantes, de boutures, de fruits et de légumes, d’herbes et d’épices qui s’établissent entre habitants. Enfin il joue un rôle économique et social par l’occupation et le travail qu’il exige, et par l’apport de légumes, fruits et épices qu’il assure aux familles.
Cette passion végétale se mesure aujourd’hui aux débordements de plantes constatées sur les balcons des habitants relogés dans des immeubles. En termes d’architecture, la capacité que l’on aura à offrir des espaces cultivables dans les logements individuels et collectifs adaptés à la civilisation végétale Réunionnaise apparaît ainsi comme un défi.
En termes d’urbanisme, la civilisation végétale Réunionnaise est appelée à passer de la sphère privée à la sphère publique, au fur et à mesure que les centres-villes se structurent, se densifient et se substituent aux quartiers traditionnels.
Faute de cette prise en charge, des quartiers excessivement minéralisés sortent de terre, posant des problèmes d’environnement urbain : perte de l’ombrage rafraîchissant et aéré des arbres, durcissement du cadre de vie, imperméabilisation des sols, pollutions.
La ville du Port a depuis longtemps montré une voie, fondant son projet urbain sur une trame d’espaces de circulation généreusement plantés et ombragés. Plusieurs projets urbains contemporains continuent désormais dans cette voie : boulevard sud à Saint-Denis, bord de mer à Saint-Pierre, Chaussée Royale à Saint-Paul…
Le végétal, pour garantir son mariage fusionnel avec le bâti, peut également servir d’étalon aux hauteurs de bâtiments admises. Ainsi, certaines villes littorales comme Saint-Leu ont limité la hauteur des bâtiments à R+3 pour les accorder avec celle des cocotiers d’âge adulte.
Sur les pentes, les fractionnements des volumes bâtis pour s’adapter à la déclivité sont autant d’occasion pour favoriser l’imbrication du bâti et du végétal. Enfin la valeur économico- sociale du jardin devrait progressivement conduire les décideurs à offrir des jardins familiaux créoles aux familles logées en appartements.
Requalifier l’héritage urbanisé dégradé des dernières décennies, revaloriser les centres bourgs et villages créoles, notamment dans les Hauts
Objectifs
- Valoriser le cadre de vie des habitants et l'image touristique de La Réunion, notamment dans les Hauts.
- Mettre en adéquation la réalité du territoire avec les appellations touristiques (Villages créoles notamment, bourgs « portes » du Parc national…).
Principes
- Requalifier l'architecture dans des dispositions plus douces.
- Valoriser les vitrines et enseignes des commerces de façon coordonnée et maîtrisée.
- Privilégier les publicités et enseignes peintes plutôt que plaquées ou dressées en panneaux.
- Requalifier les espaces publics dans des dispositions moins routières, au bénéfice des modes doux de déplacements.
- Requalifier les espaces publics dans des dispositions plus urbaines ou jardinées et moins routières, au bénéfice des modes doux de déplacements.
- Enterrer les réseaux aériens.
- Intensifier les centres bourgs, c'est-à-dire offrir des possibilités d'y vivre au quotidien, de travailler et de se divertir à proximité (l'inverse des quartiers dortoirs).
Illustrations
Promouvoir une architecture contemporaine adoucie
Objectifs
- Développer la qualité architecturale dans les opérations d'habitat.
- Adoucir la présence du bâti dans le paysage vu et vécu.
- Promouvoir l’architecture BBC (bâtiment basse consommation énergétique) adaptée aux conditions climatiques et économiques de l’île.
Principes
- L'architecture et la pente : intégrer le facteur « pente » dans la conception architecturale, limiter les terrassements, habiller les murs de soutènements de basalte.
- La volumétrie : fractionner les volumes des logements collectifs pour les accorder à la pente, pour éviter les effets de masse et pour favoriser l'imbrication avec le végétal ; les accorder à la hauteur de l'accompagnement végétal.
- L'architecture et la couleur : travailler les couleurs du bâti pour l'accorder au végétal et au grand paysage et atténuer les effets de masse : éviter les toitures blanches, distinguer les couleurs des façades de celles des toits, éviter l'usage d'une seule couleur pour l'ensemble des bâtiments d'une même opération en préférant les variations sur un même thème.
- Les clôtures : maîtriser le paysage des clôtures et encourager le « débordement végétal » sur l'espace public : privilégier les clôtures végétales mixtes, ou les murs de basalte — voir en particulier « extrait de la Charte paysagère du TCO, 2008 ».
- L'architecture et le végétal : favoriser la présence de jardins dans un contexte de densification : imbrication bâti-végétal, terrasses et loggias, toits végétalisés, qualité des sols en terre végétale, débordement végétal sur l'espace public, espaces cultivables pour les habitants des logements collectifs...
- L'architecture et l'énergie : favoriser la ventilation naturelle des logements (logements traversants…).
- L'architecture et les éléments techniques : intégrer les dispositifs dans l'architecture et non comme éléments surajoutés : panneaux solaires et ballons d'eau chaude, récupérateurs des eaux pluviales, antennes paraboliques, blocs extérieurs des climatiseurs, antennes de stations radio-électriques…
- L’architecture et les centres urbains : requalifier l’héritage urbain dégradé des dernières décennies, poursuivre la politique de réhabilitation du patrimoine architectural.
- L’architecture et le tourisme : renforcer fortement la politique qualitative de l’aménagement des gîtes et hébergements touristiques : charte architecturale et paysagère, cahiers des charges stricts, architectes et paysagistes conseils intervenants systématiquement, formations et sensibilisations à la qualité, réalisation d’opérations-pilotes de création et de requalification… ; création d’éco-lodges à forte ambition qualitative en Parc national, en fonction des enjeux environnementaux.
- L’architecture et le littoral : adapter la hauteur du bâti à celle du végétal (cocotiers notamment) ; éviter les fronts urbains balnéaires, développer l’ombrage arboré ; reconquérir le dpm.
Illustrations
Développer une politique volontariste d’aménagement des espaces publics
Objectifs
- Conforter l’attractivité des centralités
- Améliorer l’image des espaces habités de La Réunion
- Conforter le lien social
Principes
- Faire appel à des hommes de l’art pour la définition des programmes et des cahiers des charges, ainsi que pour la conception et la mise en œuvre (paysagistes, architectes, éclairagistes, BET VRD...).
- Limiter les surfaces minérales imperméables.
- Prévoir l’ombre et la fraîcheur indispensables aux aménagements d’espaces publics, notamment sur le littoral.
- Réserver les budgets d’entretien nécessaires (pour des aménagements urbains : 10% du coût d’investissement par an (comme sur la commune du Port, par exemple) et promouvoir la gestion différenciée des espaces publics.
- Le cas échéant promouvoir une utilisation raisonnée de l’eau et notamment l’utilisation de l’eau non potable pour l’arrosage des plantations.
- Promouvoir l’utilisation d’essences locales adaptées en plus des essences exotiques.
- Sensibiliser pour accepter le temps et l’espace de développement du végétal.
Illustrations
Aménager des lisières urbaines, espaces d’interface urbain/agricole
Objectifs
- Stabiliser la répartition urbanisation/espaces agricoles dans l'espace et dans le temps.
- Améliorer la protection des espaces agricoles : limites tangibles et espaces tampons pour maîtriser et atténuer la fréquentation par les habitants des espaces cultivés.
- Favoriser la protection du lagon : lutte contre l'érosion et la pollution.
- Matérialiser des limites appropriables pour les habitants.
- Améliorer le paysage urbain des limites et entrées de villes.
- Offrir des espaces pour des implantations intégrées d'équipements agricoles, hydrauliques (protection des récifs) ou urbains à l'interface des deux milieux.
- Contribuer à constituer la trame verte et bleue sur les pentes de l’île, complémentaire aux ravines.
Principes
- Constituer un espace spécifique en limite urbanisation/espace agricole, économe en foncier.
- Offrir des usages à cet espace : selon les cas voie de desserte plantée, circulation douce, jardins familiaux, aire de jeux, bassins de rétention paysagers…
- Planter l'espace ainsi réservé de la lisière.
- Maîtriser les clôtures et les implantations urbaines au contact de la lisière.
- Constituer des lisières économes en gestion, adaptées aux conditions de milieux.
Illustrations
Principes de création de lisière urbaine, coteau de l’Ermitage-les-Bains : images avant-après v1-après v2 (extrait du Schéma intercommunal d’aménagement des lisières urbaines, tco, Agence Folléa-Gautier Zone UP, 2009).
Organiser l’aménagement urbain avec le grand paysage (vues, perspectives, accès directs)
Objectifs
- Valoriser les sites bâtis dans leurs relations avec le grand paysage.
- Améliorer le cadre de vie des habitants.
- Offrir une image touristique valorisante de La Réunion.
- Valoriser les vues sur le territoire du Parc national.
Principes
- Identifier, préserver et mettre en scène les perspectives urbaines sur le grand paysage (vers la mer, la montagne, les pentes…).
- Organiser des accès et liaisons entre secteurs habités et secteurs ouverts vers les points de vue majeurs.
- Préserver les rebords de ravines ou de remparts contre l’urbanisation, réserver les emprises aux documents d’urbanisme, valoriser ces espaces et les ouvertures visuelles qu’ils offrent sur le grand paysage (promenade, pique-nique, ponts de vue…).
Illustrations
Pérenniser l’héritage architectural et urbain et le « petit » patrimoine
Objectifs
- Préserver, mettre en valeur et réhabiliter le patrimoine construit existant.
- Poursuivre la construction du patrimoine de demain au travers des aménagements quotidiens.
Principes
- Intégrer les inventaires du patrimoine (DAC OI) aux documents d'urbanisme et les compléter à l'occasion de la révision des documents d'urbanisme.
- Intégrer les éléments de patrimoine repérés aux projets d'aménagement et de mise en valeur des espaces.
- Promouvoir les aides spécifiques à la réhabilitation du patrimoine construit.