Atlas / 5. Les processus, enjeux et orientations thématiques / Les paysages agricoles
5. Les processus, enjeux et orientations thématiques
Introduction :
puissance des transformations des 70 dernières années
Les valeurs paysagères clefs de La Réunion
Les paysages de l'eau douce
Les paysages du littoral
Les paysages de nature
Les paysages agricoles
Les paysages de l'habitat
Les paysages des mobilités
Les paysages des énergies
Les paysages des activités et équipements
Synthèse : les enjeux majeurs de paysage
Les paysages
agricoles
Processus
La diversification des paysages agricoles - L’agriculture créatrice de nouveaux paysages
Indépendamment de la place grandissante et problématique de l’urbanisation dans les pentes agricoles de l’île, une diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l’élevage depuis les années 1960.
Cette diversification compose aujourd’hui des paysages récents ou nouveaux. Elle enrichit l’étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l’île. Voir la partie introductive de l’Atlas : « Tableau d’ensemble ».
La canne à sucre reste néanmoins la culture pivot : 54 % de la SAU, 12 % pour les autres productions végétales, 29 % pour les productions animales et 5 % dédiés à des usages agricoles non déterminés. La surface moyenne des exploitations agricoles réunionnaises est de 5,8 ha (Agenda 2021 Chambre d’agriculture de La Réunion).
Les surfaces cultivées à La Réunion sont estimées à 42 095 ha en 2021 contre 38 650 ha en 2020. Le territoire comprend 6 900 exploitations agricoles dont 382 (5,5 %) en agriculture biologique ou en conversion.
Les exploitations spécialisées en canne restent stables ; les exploitations spécialisées en cultures fruitières voient leur nombre augmenter. En termes de répartition des exploitations agricoles, la diversification devient lisible : la canne représente 37 %, les exploitations de fruits et légumes 31 %, le système polyculture élevage 17 % et l’élevage 12 %.
La création des pâturages des Hauts et l’élevage
Sur l’Ouest, au-dessus des 800 m d’altitude à laquelle navigue la route Hubert-Delisle, l’élevage s’est considérablement développé au cours des dernières années, occupant les friches laissées par l’abandon du géranium.
On retrouve l’élevage sur la plaine des Cafres, descendant même sur les pentes hautes du Tampon et de Notre Dame de la Paix. Dans le cirque de Salazie, Grand-Ilet concentre les élevages porcins et avicoles, matérialisés principalement par des bâtiments de tôle.
D’autres filières d’élevage d’échelle plus réduite s’inscrivent plus harmonieusement dans le paysage : élevage caprins (traditionnels, à caractère familial), filière ovine (Plaine des Cafres). Enfin, les grands domaines paysagers (prairies et boisements) hébergent des filières spécifiques comme les cervidés ou l’apiculture. Les filières équines orientées sport/loisirs se développent et sont souvent implantées en marge de zones urbaines, définissant aujourd’hui un bocage en suivant les limites des enclos et les bords des ravines.
« Je suis attaché aux espaces ruraux dont certains restent confidentiels. Les pâturages sont par exemple clôturés et peu accessibles au public ; il faut être un professionnel pour s’y rendre. Aussi, ces espaces, magnifiques au demeurant, sont-ils des espaces techniques ou des paysages pour le randonneur ? Je n’ai pas la réponse. »
Yann Hamonet, Département, service innovation, projet et territoire (agriculture, eau, environnement)
Le développement des cultures de fruits et légumes
Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d’altitude, entre l’étage de la canne et celui de l’élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, composant des paysages de qualité, d’autant qu’ils ouvrent plus généreusement sur les grands paysages du littoral et des Hauts que la canne à sucre, trop haute pour cela pendant toute une partie de l’année.
À la faveur de l’irrigation et du développement des débouchés, la diversification des productions se généralise et se lit désormais dans les paysages des pentes tout autour de l’île.
En 2021, la production locale en fruits et légumes répond à 70 % des besoins du territoire. La production annuelle s’élève à 30 000 tonnes de fruits et légumes en moyenne. 67 % des produits sont engagés dans une démarche qualité, 7 % sont issus de production biologique.
Les exportations de fruits concernent principalement l’ananas, puis le letchi et le fuit de la passion. En 2021, la production locale de fruits est de 30 305 tonnes, les importations de 20 000 tonnes et les exportations de 3 600 tonnes.
Les légumes sont principalement produits dans le Nord, le cirque de Salazie, les hauts de l’ouest, Saint Joseph et le Tampon où les conditions sont les plus favorables. En 2021, la production locale de légumes est de 16 285 tonnes, les importations de 17 000 tonnes et les exportations de 25 tonnes.
Les principales productions sont les tomates, pommes de terre, choux, laitues, carottes, oignons, pour les légumes, ananas, letchis, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits.
Les importations de produits frais représentent 37 000 t en 2021, (dont fruits : agrumes (50 %), pomme (25 %), raisin, poire ; légumes : ail (10 %), oignon (50 %), pomme de terre (20 %), carotte (17 %)).
La filière export a pris un essor ces dernières années avec une progression annuelle de 5 à 10 % par an pour atteindre environ 4 000 tonnes. La filière envisage de doubler les volumes d’ici 10 ans en favorisant l’accès au fret et la mécanisation des productions.
Le développement de l’horticulture ornementale
Les principales productions sont les arbres d’ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Cette filière représente 102 ha en 2021 et 272 professionnels fédérés en un syndicat.
Longtemps peu organisée, la filière horticole est en cours de construction avec la création d’une marque collective « Plant’Pei » en 2018 sous l’initiative de l’Union des Horticulteurs et Pépiniéristes de La Réunion (UHPR). La filière doit faire face à des importations massives et des ventes sauvages. Cependant, la spécialisation croissante et une maîtrise technique des horticulteurs valorise les produits de meilleure qualité. Les manifestations à caractère horticole offrent aux exploitants un marché de choix ; la pandémie de COVID 19 a fragilisé la filière du fait de l’impossibilité de vente en période de confinement et l’annulation des manifestations.
Un rebond des filières traditionnelles
Les racines péi, produit local très apprécié, s’inscrivent dans la diversification de l’alimentation trop centrée autour du riz et répondent aux recommandations des nutritionnistes. Elles participent avec le fruit à pain, à la transformation en farines sans gluten, frites, purée et autres avec le partenariat de la chambre d’agriculture et du Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologies (CRITT). Les racines (patate douce, songe, cambar, manioc et conflore) représentent une surface de production de 121,5 ha.
Les PAPAM (plantes aromatiques et médicinales), servent à la fabrication d’huiles essentielles, d’eaux florales et d’hydrolats. La filière composée de petits producteurs (moins de 10 kilos) assurant les deux tiers de la production, est peu organisée. Pourtant, elle forme une niche pour le monde agricole, promue par l’association APLAMEDOM, qui s’appuie sur une matière première réelle : la connaissance (Zerbage péi) et le savoir-faire traditionnel pour des ateliers de transformation sur le territoire. Le plan PAPAM de 2019 permet une reconnaissance de la filière ; il s’inscrit dans un projet de territoire et de dynamique d’innovation, alliant « terre de soin, terre de bien-être et terre d’innovation en matière de pharmacopée naturelle » (Département de la Réunion 4/09/19). La consolidation de la filière s’appuie sur des démarches de qualité (haute valeur ajoutée par des productions exclusivement biologiques, transformation et écoulement), des phases de recherche et développement, l’accompagnement des territoires des hauts et la protection de la biodiversité en faisant des espaces naturels une zone durable de production et de valorisation économique. Sur les 509 espèces susceptibles d’alimenter la filière, 22 plantes sont inscrites à la pharmacopée française. Depuis 2019, le nombre de producteurs a explosé (Surface 125 ha – 125 exploitants). Ils occupent des terrains initialement en friches et des milieux à l’origine dégradés. Les PAPAM contribuent ainsi à protéger des zones à fort enjeux écologiques en couronne du Parc national, en lien avec le projet GAIAR (Gestion Agro-écologique et Innovante des friches par l’Agroforesterie Réunionnaise), qui vise à expérimenter des modes de gestion et de valorisation agroforestiers sur des terrains en friche, à la frontière entre zones agricoles et espaces naturels.
La coopérative Provanille fédère une centaine de producteurs de vanille situés dans l’Est de l’île, de Sainte-Suzanne à Saint-Joseph. C’est la première culture reconnue en agroforesterie. À La Réunion, la vanille se distingue notamment par sa qualité certifiée en agriculture biologique. La surface de production est de 194 ha pour 30 tonnes de vanille produite en 2021 (20 tonnes en 2006).
Le café et le cacao, anciennes cultures dominantes dans l’île, sont des cultures de niche destinées à l’export pour le café et au chocolat de haute qualité pour le cacao (surface de 8 ha pour le café et de 6 ha pour le cacao).
À noter également des projets expérimentaux de riziculture pays portés par différents acteurs pour la production de riz sec. Il s’agit d’initiatives localisées visant à proposer aux consommateurs sensibles à l’écologie une alternative bio et locale aux 50 000 tonnes de riz consommées chaque année à La Réunion.
L’intensification des productions
Sur les dernières années, l’intensification de la production agricole a conduit à l’émergence de nouveaux paysages (prairies piquées par des balles rondes d’ensilage, par exemple) mais aussi par de nombreux éléments construits de grandes dimensions : serres, silos, bâtiments d’élevage hors sol. À l’avenir pourraient s’ajouter en outre des constructions porteuses de panneaux photovoltaïques (serres, hangars, etc).
Dans le cirque de Salazie à Grand-Îlet mais également dans les hauts de l’île, la présence d’élevages porcins et avicoles, caractérisés par des exploitations en batterie souvent de grande taille, marquent localement fortement le paysage de leur présence.
L’agriculture périurbaine
« Circuits courts, développement de la nature en ville et de la biodiversité, créateur de lien social, contribution à un mode de vie actif, reconquête des espaces résiduels dans les opérations de logements, sont autant de bénéfices apportés par ces initiatives pour la santé et l’environnement. Toutefois, l’agriculture urbaine comporte des risques sanitaires et environnementaux : utilisation potentielle de terre et d’eau contaminées, mauvaises odeurs, pollution sonore, usage inapproprié de pesticides et d’engrais organiques bruts qui peuvent se déverser dans les sources d’eau – toutes ces questions requièrent une attention particulière ». (Plan Régional Santé Environnement 2017-2021).
De nombreuses initiatives locales, portées par des communes, des bailleurs ou des associations encouragent l’agriculture périurbaine. Elles concernent l’agriculture marchande favorisant l’installation d’agriculteurs sur des espaces dédiés. Cependant, ces projets imposent un éclairage réglementaire pour faciliter les projets d’agriculture provisoire sur des zonages urbains ou pour changer l’affectation des sols (zonage PLU). Ce type d’agriculture peut soutenir les produits de niche, les circuits courts intégrant notamment les AMAPEI.
L’agriculture non marchande concerne les habitants motivés par une recherche de sens et de retour au jardin. Les jardins familiaux (à l’initiative d’une collectivité, d’un bailleur ou d’une association) ou les jardins partagés (à l’initiative d’un groupe de jardiniers structurés ou non en collectif ou associations), trouvent leur place tout naturellement dans un pays où le lien traditionnel à la terre a été longtemps un lien de survie puis d’identité par les jardins ornementaux. Les démarches d’agroécologie qui puisent dans le savoir-faire traditionnel local invitent à un changement de pratique et de regard sur les modes de production agricole.
En 2020, dans le cadre du Plan Régional Santé Environnement de la Réunion (PRSE3), la DEAL a édité, en partenariat avec le CAUE, le guide « Mener à bien un jardin collectif à La Réunion ». À travers ses fiches thématiques, elle conseille les porteurs de projets souhaitant créer et faire vivre un jardin collectif. « CAUE/jardins collectifs de La Réunion ». Aujourd’hui, ces jardins nombreux continuent à se multiplier sur le territoire. Une quarantaine de jardins sont identifiés en 2022 sur l’ensemble du territoire.
Diversification agricole et ouverture au public : l’agritourisme
L’agritourisme accompagne la diversification en permettant un complément de revenu à l’exploitant.
Le changement d’échelle d’une agriculture intensive (canne, élevage…) issue d’une filière structurée vers une agriculture extensive familiale facilite le dialogue avec le public. Les productions de niches (vanille, curcuma, vétiver…) et les approches innovantes souvent tournées vers l’agroécologie ou l’agriculture biologique invitent à une démarche de pédagogie ou de sensibilisation. Elles attirent des visiteurs curieux et intéressés dans la découverte de pratiques ou modes de production vertueux.
Cette approche dépasse l’agritourisme d’hébergement à la ferme pour une démarche ouverte de rencontre à l’autre par des lieux parfois insolites permettant de passer des moments atypiques dans une ambiance conviviale, avec cours de cuisine, repas partagés à la ferme…
Enjeux
Une fragilité par le mitage et l’excessive consommation des terres : raréfaction et dégradation de paysages agricoles attractifs et structurants, équilibre précaire
En 1957, Saint-Denis se cantonne sur sa pointe, entre la rivière Saint-Denis et les trois ravines du Butor, de Patate à Durand et du Chaudron. Elle remonte de façon dispersée sur ses pentes. En 2006, l’urbanisation a poursuivi son développement vers l’est, dépassant désormais les emprises de l’aéroport, et s’est densifiée sur les pentes. En 2020, les espaces agricoles de Saint-Denis sont cantonnés dans les limites hautes (Saint-François, La Bretagne, Bois de Nèfles…). Les terres de la Montagne apparaissent moins menacées par la pression urbaine.
En 1957, les pentes de Saint-Leu sont urbanisées de façon étagée, avec le littoral (Saint-Leu centre), la route RD 13 à 400 m d’altitude, et la route Hubert-Delisle à 850 m d’altitude. Cette urbanisation en ligne souligne la partition des espaces en se calant aux transitions : secs et pâturés de 0 à 400 m d’altitude, cultivés de 400 m à 800 m d’altitude, boisés au-dessus de 800 m d’altitude. En 2006, l’organisation étagée est affaiblie par le mitage, qui se diffuse dans les pentes à partir des lignes d’origine : diffusion dans les pentes raides abandonnées par le pâturage et en friche, du littoral à la RD 13, et amorce de diffusion dans les espaces agricoles entre la RD 13 et la route Hubert-Delisle. En 2020, les surfaces agricoles semblent stabilisées avec un phénomène de mitage fortement ralenti.
Sur les pentes nord-est, contrairement à l’ouest, le foncier de grands domaines conduit à une urbanisation opération par opération plutôt que maison par maison. Il s’ensuit un mitage moindre, mais un développement de « plaques » d’urbanisation monofonctionnelle.
Le bâti diffus, l’urbanisation hors opérations d’ensemble, en cours depuis plusieurs décennies, ont pu sembler confortables et faciles à gérer pour les communes responsables en matière d’urbanisme : pas d’investissement direct et satisfaction individuelle offerte au nouveau résident-électeur. Mais cet essaimage du bâti conduit à plusieurs problèmes.
Case après case, l’urbanisation diffuse finit par coûter très cher aux pouvoirs publics. Désormais, les premiers postes budgétaires des collectivités sont ceux des voiries et ceux des services à la parcelle, sur les centaines de kilomètres des réseaux urbanisés :
- Il faut adapter les voiries à une circulation croissante et multiforme (voitures, piétons, deux-roues), opérations qui coûtent très cher et qui banalisent et dégradent le cadre de vie social et culturel des habitants (voir ci-dessous).
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Il faut assurer les services à la parcelle (transports scolaires, ramassage des ordures ménagères, alimentation en eau potable, réseaux d'eaux pluviales et d'eaux usées, réseaux d'électricité et de téléphone, distribution du courrier, etc.).
L'urbanisation diffuse conduit à la consommation excessive d'un espace habitable et cultivable rare.
Les terres aménageables couvrent seulement 100 000 ha, concentrées principalement sur la ceinture littorale sur les 250 000 ha que compte l'île. De 1995 à 2015, les sols bâtis ou artificialisés ont progressé de 6 500 ha alors que dans le même temps les friches et landes ont régressé de près de 9 500 ha. Grâce à cette reconquête, les sols cultivés sont restés globalement stables, et les forêts ont gagné 2 500 ha. (DAAF La Réunion La protection du foncier agricole – octobre 2015).
Ainsi, malgré la progression de la tâche urbaine, la SAU est stabilisée en 2015 à 42 500 ha, grâce en grande partie à la mise en valeur de nouveaux périmètres par une politique de préservation affirmée du SAR (schéma d’aménagement régional) et du Plan Réunionnais de Développement Durable de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (PRAAD). La mise en œuvre du projet ILO (Irrigation du Littoral Ouest) a notamment permis de gagner 7 000 ha de terres cultivables. Dans les Hauts des opérations d’améliorations pastorales ont été engagées depuis 1977 ; l’association réunionnaise de pastoralisme ARP contribue à la mise en valeur et à la création de prairies (en moyenne une centaine d’ha par an). Cette situation d’équilibre apparent reste fragile et la pression foncière de l’urbanisation est toujours aussi forte.
La SAFER mène pour le compte du Département la procédure dite des « Terres Incultes » afin de répondre aux enjeux liés au contexte insulaire : besoins en installation des nouveaux agriculteurs, besoins en agrandissement des actifs, protection du foncier agricole. En 2006, l’objectif était de reconquérir 6 500 hectares sur un potentiel total estimé de friches de 8 000 hectares. La procédure a permis la reconquête de 200 hectares par an en moyenne, de terres en friches ou manifestement sous exploitées. Le Plan régional d’agriculture et d’agroalimentaire durables (PRAAD) établi en 2013, a conforté ces orientations afin de se rapprocher des 50 000 hectares de surface agricole utile (SAU) affiché par le SAR en vigueur. Malgré les reconquêtes effectives (plus de 1 000 ha sur la période 2009-2013), les objectifs fixés n’ont pas été atteints. En effet, les surfaces mises en valeur d’un côté sont reperdues par ailleurs par le retour en friche d’autres terrains.
Au final, malgré tous ces efforts de reconquêtes, la SAU (surface agricole utile) de La Réunion a perdu 4 000 ha sur la décennie 2010-2020, couvrant 38 306 ha en 2021 (source DAAF, AGRESTE, Memento 2022).
La filière canne dépend de la transformation de la canne en sucre, alcool et énergie (bagasse), assurée par les deux usines sucrières de Bois Rouge et du Gol. Mais un travail important est réalisé au niveau du secteur de la recherche à La Réunion pour développer de nouvelles valorisations de la canne : production de papiers, de cartons, d’isolants thermiques, de panneaux agglomérés, de films, de textiles, de plastiques, de revêtements protecteurs ou adhésifs, etc. Ces nouvelles possibilités de valorisation dans le cadre de la « chimie verte » démultiplient le potentiel exceptionnel de la canne et constituent donc une chance pour la filière, à valoriser dans le nouveau contexte de la filière « sucre ». Le maintien de ces usines est directement dépendant de la capacité à préserver la quantité de canne nécessaire à leur fonctionnement. C’est pourquoi, malgré la progression du rendement moyen de canne à l’hectare (+ 30 % en 20 ans), la consommation des terres cannières par l’urbanisation met en péril toute la filière. Or l’activité canne à sucre est la principale source d’emplois de l’agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d’exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations. Près de 3 200 planteurs cultivent les 23 462 ha de canne, les exploitations de taille moyenne (5 à 20 ha) étant majoritaires dans l’île. Cette surface représente plus de la moitié de la surface agricole réunionnaise. La fermeture des usines faute d’alimentation suffisante en canne pourrait mettre brutalement en friche toute cette surface. C’est un des scénarii à risque du devenir de l’île et de ses paysages, à l’image, toutes proportions gardées, de ce qu’ont pu vivre certaines régions comme le Languedoc-Roussillon avec la fragilisation de la filière viticole.
Une fragilisation par grandes opérations
La perte des terres agricoles à fort potentiel agronomique au profit de l’urbanisation est une véritable menace. Les documents de planification territoriale ne semblent pas suffisants pour assurer cette protection au regard des « projets d’intérêt général » même sur des secteurs fortement protégés (terres irriguées) : routes, centres commerciaux, extension urbaine. Les terres agricoles apparaissent comme la variable d’ajustement entre les espaces urbains et les espaces naturels sous forte protection sur le littoral et les hauts et mi-pentes. Parfois, c’est l’occupation illégale de terres agricoles par des activités non autorisées et non contrôlées qui favorise la pression sur les terres cultivables.
Une fragilisation par l’évolution des pratiques agricoles : simplification et floutage des paysages, morcellement des terres
Outre l’urbanisation diffuse, l’évolution des pratiques agricoles elles-mêmes fragilise le paysage : les murs, les chemins, les arbres isolés, les plantes marquant les limites foncières comme les dracaenas et les cordylines (pentes de l’ouest et du sud), les haies, se sont raréfiés avec la mécanisation, l’aménagement foncier, générant des paysages appauvris de leur petit patrimoine.
Autre évolution simplificatrice des pratiques agricoles : la disparition des andains des paysages canniers. Issus de l’épierrement des parcelles, formant des talus anti érosifs et supports de biodiversité, ils ont servi à pallier le manque de matériaux pour la construction de la première tranche de la NRL. En février 2015, le protocole de valorisation foncière des terres agricoles par enlèvement des andains est mis en place entre les services de l’État, les acteurs du BTP et les transporteurs qui impose un accord tripartite préalable entre le porteur de projet, le propriétaire foncier et l’exploitant agricole. Cette opération est justifiée par un objectif d’amélioration foncière visant à accroître la surface agricole utile, pour la mécanisation et la suppression d’espaces de dépôts. Les paysages agricoles canniers ont pour certains évolué : les andains surplombés de bandes végétales se sont effacés du paysage.
Pour les besoins agricoles, le développement des serres, des silos, des bâtiments d’élevage intensif hors sol, des clôtures (pour l’élevage, voire pour des productions spécialisées), s’ajoutent aux constructions des maisons des sièges d’exploitations isolées dans leurs terres et à la disparition de structures paysagères par intensification ; il faudrait encore ajouter le développement d’équipements agricoles comme supports de panneaux photovoltaïques : hangars ou serres (projet IRRSOL qui permet l’expérimentation de la production agricole sous ombrières photovoltaïques).
L’ensemble de ces éléments contribue à durcir le paysage agricole, à rendre plus rares encore les quelques secteurs cultivés vierges de toute construction. Par ailleurs, ce processus rend floue la différenciation entre espaces urbains ou à vocation urbaine, et espaces ruraux à vocation agricole. Ce flou devient lui-même générateur de la fragilité des terres agricoles face à la pression d’urbanisation : il est en effet plus facile d’ouvrir à l’urbanisation des terres agricoles morcelées et construites de façon éparse, que des terres purement agricoles.
Ainsi, la qualité paysagère de l’espace agricole est facteur de sa protection et de sa pérennité. Inversement, sa dégradation est facteur de sa disparition.
L’érosion des terres et la pollution des eaux
Une évolution des pratiques agricoles vers une démarche plus vertueuse
Les différentes filières agricoles en phase de mutation sont pour la plupart conscientes de leur impact sur le territoire et sur la nécessité de prendre en compte les questions environnementales. Elles intègrent également les questions de souveraineté alimentaire encouragées par le Département. Différentes démarches en concertation avec les acteurs du monde économique et de l’aménagement sont engagées dans ce sens :
- Démarche agro écologique des éleveurs de la filière volaille (Avi pôle) pour la valorisation de leurs déchets par des unités de compostage à la ferme, et la transformation de granulés utilisables en épandage sur la canne ou pour les jardins de particuliers ;
- Élevage et protection de l’environnement développés par la filière de production de viande de bœuf avec différents acteurs (SREPEN, PNR, Région et Département). Les pâturages des Hauts jouent un rôle dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, dans la protection contre les incendies et dans la gestion durable des paysages ruraux. Néanmoins, la place de l’agriculture dans la constitution de paysages, et la variation des impacts en fonction des filières est sans doute moins bien appréhendée. Les filières les plus « industrielles » développent des pratiques ou constructions souvent très impactantes sur les paysages. Les constructions d’équipements et de structure d’élevage à « caractère industriel », restent nuisantes par leur échelle, leur traitement minimaliste et leur marque sur le paysage. La DEAL a initié en 2022 la création d’une “charte d’insertion des exploitations agricoles dans le paysage”.
Orientations
Protéger sur le long terme les espaces agricoles
Objectifs
- Contribuer à la protection/amélioration des espaces agricoles, vitaux pour le développement durable de l'île : valeur économique et sociale ; valeur paysagère, urbaine et environnementale ; valeur culturelle et patrimoniale.
- Contribuer à la protection des cultures fragiles.
- Favoriser la reconquête agricole des espaces fragilisés par le mitage.
- Organiser les relations entre espaces habités / espaces agricoles / espaces naturels.
- Faire des espaces agricoles des lieux en partie appropriables pour les habitants riverains.
- Contribuer au développement de l'agritourisme.
- Valoriser paysagèrement l'espace agricole.
- Contribuer à la lutte contre la pollution et l'érosion et à la protection des eaux et du lagon.
Principes
- Renforcer les mesures de protection sur le long terme, au-delà des zonages des documents d’urbanisme (en permanence en révision) : zones agricoles protégées, sites classés, PAEN.
- Réorganiser le foncier et proposer des solutions alternatives au bâti faisant mitage.
- Organiser les circulations douces d’accès, de contournements et de traversées des espaces agricoles.
- Soigner les transitions entre espaces bâtis et espaces agricoles : voir l’orientation « Aménager des lisières urbaines ».
- Requalifier les clôtures (le cas échéant) et les limites.
- Maîtriser la qualité paysagère et architecturale des bâtiments et équipements d’exploitation : positionnement, organisation de la parcelle, terrassements, volumétrie, matériaux, couleurs, accompagnement végétal…
- Encourager la présence d’arbres signaux dans l’espace agricole : en limite d’urbanisation, en limite de parcelle, en accompagnement d’andains de pierres, en accompagnement des dessertes agricoles, en accompagnement de circulations douces, en accompagnement de routes…
- Mettre en valeur le patrimoine culturel lié aux exploitations (domaines, allées et chemins, cheminées, canaux d’irrigation…).
- Créer un néo-bocage intégrant les parcelles dans un système planté et/ou terrassé afin de lutter contre l’érosion par ruissellement, et de filtrer les intrants (le cas échéant).
- Retrouver le rôle de paysans/paysagiste : de nombreuses ravines soustraites des zones agricoles dans le cadre des EBC (Espaces boisés classés) sont pour beaucoup envahies par des Espèces Exotiques Envahissantes. Cette situation questionne sur la gestion des espaces par les agriculteurs.
Illustrations
Développer l’agriculture de proximité à circuits courts dans les secteurs imbriqués à l’urbanisation
Objectifs
- Pérenniser l’activité agricole dans un cadre périurbain et urbain pressants.
- Développer de nouveaux débouchés et filières économiquement viables.
- Améliorer la qualité des produits.
- Offrir des espaces de respiration aux habitants.
- Favoriser les échanges urbains/agriculteurs.
Principes
- Protéger sur le long terme les parcelles, offrir une visibilité d'exploitation durable pour les agriculteurs.
- Poursuivre le développement des AMAPei , modèle qui s’inspire du concept de l’AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), en s’adaptant au contexte « péi » mais en conservant les valeurs essentielles.
- Créer des points de vente directe sur des zones autorisées (pas d’autorisation en zone agricole).
- Constituer des lisières urbaines, interfaces ville/agriculture : voir l'orientation ci-dessous « Composer des lisières urbaines ».
Illustrations
Promouvoir des labels ou marques localisés de produits agricoles de qualité (cirques notamment)
Objectifs
- Favoriser la pérennité de l'activité agricole et des espaces agricoles dans les Hauts notamment.
- Contribuer à la qualité paysagère des îlets notamment.
- Réduire la pollution par les intrants.
Principes
- Organisation et développement de filière de produits spécifiques.
- Principes d’agriculture raisonnée ou biologique limitant l’utilisation d’intrants.
Illustrations
Développer l’agritourisme, organiser l’accueil du public « à la ferme »
Objectifs
- Favoriser les échanges agriculteurs/urbains et touristes.
- Pérenniser les espaces agricoles et développer l’activité des agriculteurs.
- Réduire la pression de fréquentation sur le littoral et dans les Hauts en la répartissant aussi sur les mi-pentes.
Principes
- Protéger sur le long terme les parcelles, offrir une visibilité d’exploitation durable pour les agriculteurs.
- Accompagner qualitativement les projets architecturaux par des hommes de l’art (architectes et paysagistes).
Illustrations
Composer des lisières urbaines à l’interface urbanisation/agricole
« J’observe sur le terrain que de nombreux lotissements se développent dos à l’espace agricole. Je pense que la ville pourrait intégrer un peu plus les fonctionnalités que peuvent offrir l’espace agricole et la ruralité environnante. »
Yann Hamonet, Département, service innovation, projet et territoire (agriculture, eau, environnement)
Le traitement des interfaces entre les zones agricoles et construites n’est pas acquis ni contraint par les documents de planification (PLU…). Deux outils juridiques permettant de protéger les zones agricoles peuvent être adapté aux lisières :
- La ZAP (zone agricole protégée) permet de protéger les zones agricoles dont la préservation présente un intérêt général, soit en raison de la qualité de leur production, soit de leur localisation géographique. Adaptée en cas d’évolutivité des terres agricoles (si diversification ou autres).
- Le PAEN, périmètre de protection renforcée qui s’applique aux zones A et N des PLU, confortant leur vocation agricole et naturelle au-delà des révisions et modifications de SCoT ou de PLU. Gel des terres agricoles pendant une trentaine d’années. Le PAEN de Petite Ile, le premier à aboutir, propose un plan d’action territorialisé sur les espaces agricoles. A ce titre des recherches de subventions (PAC, ANRU…) sont en cours en fonction de la typologie des lisières agro-urbaines afin de financer ces espaces d’interface.
Objectifs
- Stabiliser la répartition urbanisation/espaces agricoles dans l'espace et dans le temps.
- Améliorer la protection des espaces agricoles : limites tangibles et espaces tampons pour maîtriser et atténuer la fréquentation par les habitants des espaces cultivés.
- Favoriser la protection du lagon : lutte contre l'érosion et la pollution.
- Matérialiser des limites appropriables pour les habitants.
- Améliorer le paysage urbain des limites et entrées de villes.
- Offrir des espaces pour des implantations intégrées d'équipements agricoles, hydrauliques (protection des récifs) ou urbains à l'interface des deux milieux.
- Contribuer à constituer la trame verte et bleue sur les pentes de l’île, complémentaire aux ravines.
Principes
- Constituer un espace spécifique en limite urbanisation/espace agricole, économe en foncier.
- Offrir des usages à cet espace : selon les cas voie de desserte plantée, circulation douce, jardins familiaux, aire de jeux, bassins de rétention paysagers…
- Planter l'espace ainsi réservé de la lisière.
- Maîtriser les clôtures et les implantations urbaines au contact de la lisière.
- Constituer des lisières économes en gestion, adaptées aux conditions de milieux.
Illustrations
Améliorer fortement la qualité architecturale et paysagère des constructions agricoles
(habitats, équipements, ouvrages)
Objectifs
- Réduire les effets de mitage et pérenniser les espaces agricoles.
- Améliorer la qualité paysagère des espaces agricoles.
Principes
- Éviter dans toute la mesure du possible les constructions dans l’espace agricole (maison de l’exploitant, hangars, serres-tunnels…), qui contribuent à l’aspect de mitage et à la fragilisation à terme de l’espace.
- Viser la discrétion à travers les choix d’emplacement, d’accès, de terrassement, de volumes, de matériaux, de couleur et d’accompagnement végétal.
- Accompagner qualitativement chaque projet architectural par des hommes de l’art (architectes et paysagistes).
- Élaborer des plans de paysage agricoles à l’échelle des exploitations.
Illustrations
Valoriser le paysage agricole et la biodiversité par les structures arborées
« On ne peut pas fabriquer de grands paysages sans un seul arbre. »
Michel Reynaud, architecte, paysagiste, membre de la SREPEN
Objectifs
- Faire contribuer les espaces agricoles à la préservation de la biodiversité.
- Contribuer à renforcer la trame verte et bleue sur les pentes de l’île.
- Lutter contre l'érosion des sols et la pollution des eaux.
- Enrichir et améliorer le paysage agricole.
Principes
- Définir et protéger des reculs d'implantation de l'urbanisation vis-à-vis des rebords des ravines.
- Planter les limites de parcelles, les chemins ou les croisées de chemins, les fossés, les rebords de ravines, …, par des arbres signaux ou des haies arborées d'essences indigènes.
- Accompagner les constructions (maisons d'exploitants, hangars…) par des bosquets d'essences indigènes, adaptées aux différents milieux et paysages de l’île.
- Élaborer des plans de paysage agricoles à l'échelle des exploitations.
- Encourager la diversification des cultures, le sylvopastoralisme, l'agroforesterie.
- Adopter des pratiques culturales anti-érosives : plantation en courbe de niveaux, paillage ou couverture vivante, andains et bandes boisées associées…
- Favoriser l’ensemble de ces dispositions par des soutiens spécifiques (mesures agro-environnementales et climatiques, paiements pour services environnementaux...).
Illustrations
Valoriser le patrimoine bâti agricole
Objectifs
- Enrichir et améliorer le paysage agricole.
- Promouvoir l’activité agricole et la montrer sous son meilleur jour.
- Pérenniser la mémoire de l’activité agricole.
Principes
- Mettre en valeur l’architecture, les abords et le site des usines sucrières du Gol et de Bois Rouge : mise en scène, revalorisation des abords, aménagement paysager des accès, des stationnements, des clôtures et limites, des circulations.
- Préserver et valoriser les anciennes usines à sucre, les cheminées, les canaux d’alimentation et d’irrigation, et les autres éléments de patrimoine construit, en les intégrant aux projets contemporains (reconversions, réhabilitation et réutilisation des volumes construits…).