5. Les processus, enjeux et orientations thématiques

Les paysages
agricoles

Processus

La diversification des paysages agricoles - L’agriculture créatrice de nouveaux paysages

Indépendamment de la place grandissante et problématique de l’urbanisation dans les pentes agricoles de l’île, une diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l’élevage depuis les années 1960.

Cette diversification compose aujourd’hui des paysages récents ou nouveaux. Elle enrichit l’étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l’île. Voir la partie introductive de l’Atlas : « Tableau d’ensemble ».

La canne à sucre reste néanmoins la culture pivot : 54 % de la SAU, 12 % pour les autres productions végétales, 29 % pour les productions animales et 5 % dédiés à des usages agricoles non déterminés. La surface moyenne des exploitations agricoles réunionnaises est de 5,8 ha (Agenda 2021 Chambre d’agriculture de La Réunion).

Les surfaces cultivées à La Réunion sont estimées à 42 095 ha en 2021 contre 38 650 ha en 2020. Le territoire comprend 6 900 exploitations agricoles dont 382 (5,5 %) en agriculture biologique ou en conversion.

Les exploitations spécialisées en canne restent stables ; les exploitations spécialisées en cultures fruitières voient leur nombre augmenter. En termes de répartition des exploitations agricoles, la diversification devient lisible : la canne représente 37 %, les exploitations de fruits et légumes 31 %, le système polyculture élevage 17 % et l’élevage 12 %.

La création des pâturages des Hauts et l’élevage​

Développement du pâturage sur la plaine des Cafres en 1950, 1984 et 2020.
Élevage vers Notre-Dame-de-la-Paix, paysage agricole récent.
Pâturages dans les hauts de l’ouest : des paysages agricoles récents.
Pâturage des Hauts de l’ouest, vers Trou du Jard, mai 2022.
Enfrichement des parcelles pâturées.
Pâturages de la Plaine des Cafres.
Pâturage à sophoras sur les pentes de Notre Dame de la Paix.

Sur l’Ouest, au-dessus des 800 m d’altitude à laquelle navigue la route Hubert-Delisle, l’élevage s’est considérablement développé au cours des dernières années, occupant les friches laissées par l’abandon du géranium.

On retrouve l’élevage sur la plaine des Cafres, descendant même sur les pentes hautes du Tampon et de Notre Dame de la Paix. Dans le cirque de Salazie, Grand-Ilet concentre les élevages porcins et avicoles, matérialisés principalement par des bâtiments de tôle.

D’autres filières d’élevage d’échelle plus réduite s’inscrivent plus harmonieusement dans le paysage : élevage caprins (traditionnels, à caractère familial), filière ovine (Plaine des Cafres). Enfin, les grands domaines paysagers (prairies et boisements) hébergent des filières spécifiques comme les cervidés ou l’apiculture. Les filières équines orientées sport/loisirs se développent et sont souvent implantées en marge de zones urbaines, définissant aujourd’hui un bocage en suivant les limites des enclos et les bords des ravines.

« Je suis attaché aux espaces ruraux dont certains restent confidentiels. Les pâturages sont par exemple clôturés et peu accessibles au public ; il faut être un professionnel pour s’y rendre. Aussi, ces espaces, magnifiques au demeurant, sont-ils des espaces techniques ou des paysages pour le randonneur ? Je n’ai pas la réponse. »

Le développement des cultures de fruits et légumes​

Urbanisation diffuse agricole sur les pentes du Tampon en 1950, 1984 et 2008. En 1950, l’espace apparaît peu cultivé et peu habité. En 1984, les cultures se développent et avec elles quelques habitations ou équipements agricoles. En 2008, l’espace est presque entièrement voué aux cultures diversifiées, mais il apparaît également marqué par la présence du bâti d’habitation ou d’activités agricoles, qui s’éparpille au milieu des champs. En 2022, la place de l’agriculture continue à s’affirmer à travers des équipements nouveaux (serres, bassins…) lisibles dans le paysage.
Cultures légumières et fruitières incisées dans les grands champs de canne des pentes du Tampon, vers le Dassy.
Ouverture vers les hauts à la faveur de culture d’ananas dans les pentes de Saint-Benoît.
Ouverture sur la mer depuis la RD 30 près de Grande Anse, à la faveur de cultures légumières à l’aval de la route.

Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d’altitude, entre l’étage de la canne et celui de l’élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, composant des paysages de qualité, d’autant qu’ils ouvrent plus généreusement sur les grands paysages du littoral et des Hauts que la canne à sucre, trop haute pour cela pendant toute une partie de l’année.

À la faveur de l’irrigation et du développement des débouchés, la diversification des productions se généralise et se lit désormais dans les paysages des pentes tout autour de l’île.

En 2021, la production locale en fruits et légumes répond à 70 % des besoins du territoire. La production annuelle s’élève à 30 000 tonnes de fruits et légumes en moyenne. 67 % des produits sont engagés dans une démarche qualité, 7 % sont issus de production biologique.

Les exportations de fruits concernent principalement l’ananas, puis le letchi et le fuit de la passion. En 2021, la production locale de fruits est de 30 305 tonnes, les importations de 20 000 tonnes et les exportations de 3 600 tonnes.

Les légumes sont principalement produits dans le Nord, le cirque de Salazie, les hauts de l’ouest, Saint Joseph et le Tampon où les conditions sont les plus favorables. En 2021, la production locale de légumes est de 16 285 tonnes, les importations de 17 000 tonnes et les exportations de 25 tonnes.

Les principales productions sont les tomates, pommes de terre, choux, laitues, carottes, oignons, pour les légumes, ananas, letchis, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits.

Les importations de produits frais représentent 37 000 t en 2021, (dont fruits : agrumes (50 %), pomme (25 %), raisin, poire ; légumes : ail (10 %), oignon (50 %), pomme de terre (20 %), carotte (17 %)).

La filière export a pris un essor ces dernières années avec une progression annuelle de 5 à 10 % par an pour atteindre environ 4 000 tonnes. La filière envisage de doubler les volumes d’ici 10 ans en favorisant l’accès au fret et la mécanisation des productions.

Le développement de l’horticulture ornementale​

Pépinière dans le beau cadre du Grand Pourpier (Cambaie, Saint-Paul).

Les principales productions sont les arbres d’ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Cette filière représente 102 ha en 2021 et 272 professionnels fédérés en un syndicat.

Longtemps peu organisée, la filière horticole est en cours de construction avec la création d’une marque collective « Plant’Pei » en 2018 sous l’initiative de l’Union des Horticulteurs et Pépiniéristes de La Réunion (UHPR). La filière doit faire face à des importations massives et des ventes sauvages. Cependant, la spécialisation croissante et une maîtrise technique des horticulteurs valorise les produits de meilleure qualité. Les manifestations à caractère horticole offrent aux exploitants un marché de choix ; la pandémie de COVID 19 a fragilisé la filière du fait de l’impossibilité de vente en période de confinement et l’annulation des manifestations.

Un rebond des filières traditionnelles​

Agriculture diversifiée dans les pentes de Petite Île.

Les racines péi, produit local très apprécié, s’inscrivent dans la diversification de l’alimentation trop centrée autour du riz et répondent aux recommandations des nutritionnistes. Elles participent avec le fruit à pain, à la transformation en farines sans gluten, frites, purée et autres avec le partenariat de la chambre d’agriculture et du Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologies (CRITT). Les racines (patate douce, songe, cambar, manioc et conflore) représentent une surface de production de 121,5 ha.

Maison du curcuma, Plaine des Grègues.
Culture de thym à Petite Île.

Les PAPAM (plantes aromatiques et médicinales), servent à la fabrication d’huiles essentielles, d’eaux florales et d’hydrolats. La filière composée de petits producteurs (moins de 10 kilos) assurant les deux tiers de la production, est peu organisée. Pourtant, elle forme une niche pour le monde agricole, promue par l’association APLAMEDOM, qui s’appuie sur une matière première réelle : la connaissance (Zerbage péi) et le savoir-faire traditionnel pour des ateliers de transformation sur le territoire. Le plan PAPAM de 2019 permet une reconnaissance de la filière ; il s’inscrit dans un projet de territoire et de dynamique d’innovation, alliant « terre de soin, terre de bien-être et terre d’innovation en matière de pharmacopée naturelle » (Département de la Réunion 4/09/19). La consolidation de la filière s’appuie sur des démarches de qualité (haute valeur ajoutée par des productions exclusivement biologiques, transformation et écoulement), des phases de recherche et développement, l’accompagnement des territoires des hauts et la protection de la biodiversité en faisant des espaces naturels une zone durable de production et de valorisation économique. Sur les 509 espèces susceptibles d’alimenter la filière, 22 plantes sont inscrites à la pharmacopée française. Depuis 2019, le nombre de producteurs a explosé (Surface 125 ha – 125 exploitants). Ils occupent des terrains initialement en friches et des milieux à l’origine dégradés. Les PAPAM contribuent ainsi à protéger des zones à fort enjeux écologiques en couronne du Parc national, en lien avec le projet GAIAR (Gestion Agro-écologique et Innovante des friches par l’Agroforesterie Réunionnaise), qui vise à expérimenter des modes de gestion et de valorisation agroforestiers sur des terrains en friche, à la frontière entre zones agricoles et espaces naturels.

Vanille en forêt et sur bois de chandelle vers Piton Sainte-Rose.

La coopérative Provanille fédère une centaine de producteurs de vanille situés dans l’Est de l’île, de Sainte-Suzanne à Saint-Joseph. C’est la première culture reconnue en agroforesterie. À La Réunion, la vanille se distingue notamment par sa qualité certifiée en agriculture biologique. La surface de production est de 194 ha pour 30 tonnes de vanille produite en 2021 (20 tonnes en 2006).

Le café et le cacao, anciennes cultures dominantes dans l’île, sont des cultures de niche destinées à l’export pour le café et au chocolat de haute qualité pour le cacao (surface de 8 ha pour le café et de 6 ha pour le cacao).

À noter également des projets expérimentaux de riziculture pays portés par différents acteurs pour la production de riz sec. Il s’agit d’initiatives localisées visant à proposer aux consommateurs sensibles à l’écologie une alternative bio et locale aux 50 000 tonnes de riz consommées chaque année à La Réunion.

L’intensification des productions​

Serres à l’Entre-Deux.
Mise en culture des pentes sèches de l’ouest à la faveur de l’irrigation (pentes de l’Ermitage).

Sur les dernières années, l’intensification de la production agricole a conduit à l’émergence de nouveaux paysages (prairies piquées par des balles rondes d’ensilage, par exemple) mais aussi par de nombreux éléments construits de grandes dimensions : serres, silos, bâtiments d’élevage hors sol. À l’avenir pourraient s’ajouter en outre des constructions porteuses de panneaux photovoltaïques (serres, hangars, etc).

Dans le cirque de Salazie à Grand-Îlet mais également dans les hauts de l’île, la présence d’élevages porcins et avicoles, caractérisés par des exploitations en batterie souvent de grande taille, marquent localement fortement le paysage de leur présence.

Exploitations agricoles de Grand-Îlet, vues depuis la crête du Cimendef.

L’agriculture périurbaine​

L’Epimomé, épicerie marmaille, écologique et solidaire à l’Entre-Deux, développé à la faveur d’un projet alimentaire territorial. Le projet alimentaire territorial de la commune a pour objet d'instaurer une coopération étroite entre les différents acteurs (agriculteurs, associations, entreprises...) de l'Entre-Deux et de ses partenaires (Casud, État, collectivités, Chambre d'agriculture, Banque des territoires, organismes de formations et de recherches...) pour atteindre des objectifs de développement durable notamment en terme d'agriculture avec la mise en place d'une épicerie solidaire, de jardins potagers, d'actions de gestion des biodéchets et de lutte contre le gaspillage alimentaire, de la mise en place davantage de produits locaux dans la restauration scolaire, etc.
Paysage agricole (péri)urbain à l’Entre-Deux.

« Circuits courts, développement de la nature en ville et de la biodiversité, créateur de lien social, contribution à un mode de vie actif, reconquête des espaces résiduels dans les opérations de logements, sont autant de bénéfices apportés par ces initiatives pour la santé et l’environnement. Toutefois, l’agriculture urbaine comporte des risques sanitaires et environnementaux : utilisation potentielle de terre et d’eau contaminées, mauvaises odeurs, pollution sonore, usage inapproprié de pesticides et d’engrais organiques bruts qui peuvent se déverser dans les sources d’eau – toutes ces questions requièrent une attention particulière ». (Plan Régional Santé Environnement 2017-2021).

De nombreuses initiatives locales, portées par des communes, des bailleurs ou des associations encouragent l’agriculture périurbaine. Elles concernent l’agriculture marchande favorisant l’installation d’agriculteurs sur des espaces dédiés. Cependant, ces projets imposent un éclairage réglementaire pour faciliter les projets d’agriculture provisoire sur des zonages urbains ou pour changer l’affectation des sols (zonage PLU). Ce type d’agriculture peut soutenir les produits de niche, les circuits courts intégrant notamment les AMAPEI.

Parcelles de jardins collectifs à l’ancien zoo du Chaudron, Saint Denis, 2022.
Jardin partagé associatif, Parc de Bois d’Olives, Saint Pierre, 2020.
Anchaing, jardin de la ville : jardins partagés à La Possession.

L’agriculture non marchande concerne les habitants motivés par une recherche de sens et de retour au jardin. Les jardins familiaux (à l’initiative d’une collectivité, d’un bailleur ou d’une association) ou les jardins partagés (à l’initiative d’un groupe de jardiniers structurés ou non en collectif ou associations), trouvent leur place tout naturellement dans un pays où le lien traditionnel à la terre a été longtemps un lien de survie puis d’identité par les jardins ornementaux. Les démarches d’agroécologie qui puisent dans le savoir-faire traditionnel local invitent à un changement de pratique et de regard sur les modes de production agricole.

En 2020, dans le cadre du Plan Régional Santé Environnement de la Réunion (PRSE3), la DEAL a édité, en partenariat avec le CAUE, le guide « Mener à bien un jardin collectif à La Réunion ». À travers ses fiches thématiques, elle conseille les porteurs de projets souhaitant créer et faire vivre un jardin collectif. « CAUE/jardins collectifs de La Réunion ». Aujourd’hui, ces jardins nombreux continuent à se multiplier sur le territoire. Une quarantaine de jardins sont identifiés en 2022 sur l’ensemble du territoire.

Diversification agricole et ouverture au public : l’agritourisme​

L’agritourisme accompagne la diversification en permettant un complément de revenu à l’exploitant.

Le changement d’échelle d’une agriculture intensive (canne, élevage…) issue d’une filière structurée vers une agriculture extensive familiale facilite le dialogue avec le public. Les productions de niches (vanille, curcuma, vétiver…) et les approches innovantes souvent tournées vers l’agroécologie ou l’agriculture biologique invitent à une démarche de pédagogie ou de sensibilisation. Elles attirent des visiteurs curieux et intéressés dans la découverte de pratiques ou modes de production vertueux.

Cette approche dépasse l’agritourisme d’hébergement à la ferme pour une démarche ouverte de rencontre à l’autre par des lieux parfois insolites permettant de passer des moments atypiques dans une ambiance conviviale, avec cours de cuisine, repas partagés à la ferme…

Enjeux

Une fragilité par le mitage et l’excessive consommation des terres : raréfaction et dégradation de paysages agricoles attractifs et structurants, équilibre précaire

Le développement urbain, exemple à Saint‑Denis, 1957.
Le développement urbain, exemple à Saint‑Denis,2006.
Le développement urbain, exemple à Saint‑Denis, 2020.

En 1957, Saint-Denis se cantonne sur sa pointe, entre la rivière Saint-Denis et les trois ravines du Butor, de Patate à Durand et du Chaudron. Elle remonte de façon dispersée sur ses pentes. En 2006, l’urbanisation a poursuivi son développement vers l’est, dépassant désormais les emprises de l’aéroport, et s’est densifiée sur les pentes. En 2020, les espaces agricoles de Saint-Denis sont cantonnés dans les limites hautes (Saint-François, La Bretagne, Bois de Nèfles…). Les terres de la Montagne apparaissent moins menacées par la pression urbaine.

Le développement urbain, exemple à Saint‑Leu, 1957.
Le développement urbain, exemple à Saint‑Leu, 2006.
Le développement urbain, exemple à Saint‑Leu, 2020.

En 1957, les pentes de Saint-Leu sont urbanisées de façon étagée, avec le littoral (Saint-Leu centre), la route RD 13 à 400 m d’altitude, et la route Hubert-Delisle à 850 m d’altitude. Cette urbanisation en ligne souligne la partition des espaces en se calant aux transitions : secs et pâturés de 0 à 400 m d’altitude, cultivés de 400 m à 800 m d’altitude, boisés au-dessus de 800 m d’altitude. En 2006, l’organisation étagée est affaiblie par le mitage, qui se diffuse dans les pentes à partir des lignes d’origine : diffusion dans les pentes raides abandonnées par le pâturage et en friche, du littoral à la RD 13, et amorce de diffusion dans les espaces agricoles entre la RD 13 et la route Hubert-Delisle. En 2020, les surfaces agricoles semblent stabilisées avec un phénomène de mitage fortement ralenti.

Urbanisation en timbre-poste : pentes de Sainte-Marie / Sainte-Suzanne.
En 1950, les bourgs de Sainte-Marie et Sainte-Suzanne sont faiblement constitués. Entre les deux, les grands domaines gèrent l’espace agricole (Grand Hazier par exemple). En 1984, une urbanisation en timbre-poste voit le jour, sous forme d’opérations dispersées dans l’espace agricole : Ravine des Chèvres les Bas, Ravine des Chèvres les Hauts, les Jacques Bel Air, Bagatelle, Ravine des Chèvres. En 2008, les timbres postes ont « achevé » leur constitution et se sont agrandis : Ravine des Chèvres les Bas, les Cafés, Ravine des Chèvres, Bagatelle. En 2022, les surfaces agricoles semblent également stabilisées ; les espaces bâtis amorcent une densification sur leurs emprises existantes.

Sur les pentes nord-est, contrairement à l’ouest, le foncier de grands domaines conduit à une urbanisation opération par opération plutôt que maison par maison. Il s’ensuit un mitage moindre, mais un développement de « plaques » d’urbanisation monofonctionnelle.
Consommation de la plaine agricole du Gol par l’urbanisation commerciale (Saint-Louis, 2009).
Problème d’étalement urbain et de consommation d’espace agricole vers Petite Ile, en 2009 et en 2022.
Problème de mitage de l’espace agricole, plaine des Cafres, 2009.
Absence de lisières agro-urbaines pour organiser le développement du Plate et préserver les espaces agricoles.
Des lisières urbaines sont à constituer pour clarifier et stabiliser la répartition entre urbanisation et espaces agricoles (ici à Le Plate).

Le bâti diffus, l’urbanisation hors opérations d’ensemble, en cours depuis plusieurs décennies, ont pu sembler confortables et faciles à gérer pour les communes responsables en matière d’urbanisme : pas d’investissement direct et satisfaction individuelle offerte au nouveau résident-électeur. Mais cet essaimage du bâti conduit à plusieurs problèmes.

Case après case, l’urbanisation diffuse finit par coûter très cher aux pouvoirs publics. Désormais, les premiers postes budgétaires des collectivités sont ceux des voiries et ceux des services à la parcelle, sur les centaines de kilomètres des réseaux urbanisés :

La SAFER mène pour le compte du Département la procédure dite des « Terres Incultes » afin de répondre aux enjeux liés au contexte insulaire : besoins en installation des nouveaux agriculteurs, besoins en agrandissement des actifs, protection du foncier agricole. En 2006, l’objectif était de reconquérir 6 500 hectares sur un potentiel total estimé de friches de 8 000 hectares. La procédure a permis la reconquête de 200 hectares par an en moyenne, de terres en friches ou manifestement sous exploitées. Le Plan régional d’agriculture et d’agroalimentaire durables (PRAAD) établi en 2013, a conforté ces orientations afin de se rapprocher des 50 000 hectares de surface agricole utile (SAU) affiché par le SAR en vigueur. Malgré les reconquêtes effectives (plus de 1 000 ha sur la période 2009-2013), les objectifs fixés n’ont pas été atteints. En effet, les surfaces mises en valeur d’un côté sont reperdues par ailleurs par le retour en friche d’autres terrains.

Au final, malgré tous ces efforts de reconquêtes, la SAU (surface agricole utile) de La Réunion a perdu 4 000 ha sur la décennie 2010-2020, couvrant 38 306 ha en 2021 (source DAAF, AGRESTE, Memento 2022).

L’usine sucrière du Gol à Saint-Louis.
L’usine sucrière de Bois Rouge à Saint-André.

La filière canne dépend de la transformation de la canne en sucre, alcool et énergie (bagasse), assurée par les deux usines sucrières de Bois Rouge et du Gol. Mais un travail important est réalisé au niveau du secteur de la recherche à La Réunion pour développer de nouvelles valorisations de la canne : production de papiers, de cartons, d’isolants thermiques, de panneaux agglomérés, de films, de textiles, de plastiques, de revêtements protecteurs ou adhésifs, etc. Ces nouvelles possibilités de valorisation dans le cadre de la « chimie verte » démultiplient le potentiel exceptionnel de la canne et constituent donc une chance pour la filière, à valoriser dans le nouveau contexte de la filière « sucre ». Le maintien de ces usines est directement dépendant de la capacité à préserver la quantité de canne nécessaire à leur fonctionnement. C’est pourquoi, malgré la progression du rendement moyen de canne à l’hectare (+ 30 % en 20 ans), la consommation des terres cannières par l’urbanisation met en péril toute la filière. Or l’activité canne à sucre est la principale source d’emplois de l’agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d’exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations. Près de 3 200 planteurs cultivent les 23 462 ha de canne, les exploitations de taille moyenne (5 à 20 ha) étant majoritaires dans l’île. Cette surface représente plus de la moitié de la surface agricole réunionnaise. La fermeture des usines faute d’alimentation suffisante en canne pourrait mettre brutalement en friche toute cette surface. C’est un des scénarii à risque du devenir de l’île et de ses paysages, à l’image, toutes proportions gardées, de ce qu’ont pu vivre certaines régions comme le Languedoc-Roussillon avec la fragilisation de la filière viticole.

Des grands paysages agricoles préservés la Plaine du Gol à Saint-Louis en 1992.
Mitage diffus apparaissant sur les pentes agricoles, la Plaine du Gol à Saint-Louis en 2010.
2010
2000
Les pentes sèches de La Saline-les-Bains, entre 2000 et 2010.

Une fragilisation par grandes opérations

Construction d’une clinique dans les champs de canne à Bras Panon (photo avril 2022).
Parc photovoltaïque au sol sur un ancien champ de canne (Sainte-Rose).

La perte des terres agricoles à fort potentiel agronomique au profit de l’urbanisation est une véritable menace. Les documents de planification territoriale ne semblent pas suffisants pour assurer cette protection au regard des « projets d’intérêt général » même sur des secteurs fortement protégés (terres irriguées) : routes, centres commerciaux, extension urbaine. Les terres agricoles apparaissent comme la variable d’ajustement entre les espaces urbains et les espaces naturels sous forte protection sur le littoral et les hauts et mi-pentes. Parfois, c’est l’occupation illégale de terres agricoles par des activités non autorisées et non contrôlées qui favorise la pression sur les terres cultivables.

Une fragilisation par l’évolution des pratiques agricoles : simplification et floutage des paysages, morcellement des terres

Problème de simplification du paysage par disparition des structures végétales (murs, chemins, arbres, haies), plaine des Cafres.
Le patrimoine des allées de cocotiers, vieillissant et menacé de disparition (Gillot).

Outre l’urbanisation diffuse, l’évolution des pratiques agricoles elles-mêmes fragilise le paysage : les murs, les chemins, les arbres isolés, les plantes marquant les limites foncières comme les dracaenas et les cordylines (pentes de l’ouest et du sud), les haies, se sont raréfiés avec la mécanisation, l’aménagement foncier, générant des paysages appauvris de leur petit patrimoine.

Autre évolution simplificatrice des pratiques agricoles : la disparition des andains des paysages canniers. Issus de l’épierrement des parcelles, formant des talus anti érosifs et supports de biodiversité, ils ont servi à pallier le manque de matériaux pour la construction de la première tranche de la NRL. En février 2015, le protocole de valorisation foncière des terres agricoles par enlèvement des andains est mis en place entre les services de l’État, les acteurs du BTP et les transporteurs qui impose un accord tripartite préalable entre le porteur de projet, le propriétaire foncier et l’exploitant agricole. Cette opération est justifiée par un objectif d’amélioration foncière visant à accroître la surface agricole utile, pour la mécanisation et la suppression d’espaces de dépôts. Les paysages agricoles canniers ont pour certains évolué : les andains surplombés de bandes végétales se sont effacés du paysage.

Durcissement et floutage de l’espace agricole par la construction de la maison individuelle de l’agriculteur isolée dans les terres (hauts du Tampon).
Un exemple de bâtiment agricole trop blanc.
Colonisation par les serres de paysage agricole sensible dans les hauteurs de Vincendo.
Bâtiment agricole sans qualité architecturale ni paysagère au sein des belles pentes de Sainte-Anne.
Siège d’exploitation à revaloriser en termes de paysage, dans les pentes de Saint-Joseph.

Pour les besoins agricoles, le développement des serres, des silos, des bâtiments d’élevage intensif hors sol, des clôtures (pour l’élevage, voire pour des productions spécialisées), s’ajoutent aux constructions des maisons des sièges d’exploitations isolées dans leurs terres et à la disparition de structures paysagères par intensification ; il faudrait encore ajouter le développement d’équipements agricoles comme supports de panneaux photovoltaïques : hangars ou serres (projet IRRSOL qui permet l’expérimentation de la production agricole sous ombrières photovoltaïques).

L’ensemble de ces éléments contribue à durcir le paysage agricole, à rendre plus rares encore les quelques secteurs cultivés vierges de toute construction. Par ailleurs, ce processus rend floue la différenciation entre espaces urbains ou à vocation urbaine, et espaces ruraux à vocation agricole. Ce flou devient lui-même générateur de la fragilité des terres agricoles face à la pression d’urbanisation : il est en effet plus facile d’ouvrir à l’urbanisation des terres agricoles morcelées et construites de façon éparse, que des terres purement agricoles.

Ainsi, la qualité paysagère de l’espace agricole est facteur de sa protection et de sa pérennité. Inversement, sa dégradation est facteur de sa disparition.

L’érosion des terres et la pollution des eaux

Une évolution des pratiques agricoles vers une démarche plus vertueuse

Cultures traditionnelles de piment sous couvert. Tour des Roches Saint Paul, 2018.

Les différentes filières agricoles en phase de mutation sont pour la plupart conscientes de leur impact sur le territoire et sur la nécessité de prendre en compte les questions environnementales. Elles intègrent également les questions de souveraineté alimentaire encouragées par le Département. Différentes démarches en concertation avec les acteurs du monde économique et de l’aménagement sont engagées dans ce sens :

Orientations

Protéger sur le long terme les espaces agricoles

Objectifs

Principes

Illustrations

Champs de canne sur les pentes basses de Saint-Benoît.

Développer l’agriculture de proximité à circuits courts dans les secteurs imbriqués à l’urbanisation

Objectifs

Principes

Illustrations

Agriculture vivrière sur les pentes urbanisées du Tampon.
Agriculture imbriquée au bâti, vers Le Guillaume.

Promouvoir des labels ou marques localisés de produits agricoles de qualité (cirques notamment)

Objectifs

Principes

Illustrations

Cultures sur un îlet à Mafate (Cayenne).
Culture de plantes aromatiques, littoral sud.
L’agriculture dans les Hauts : des labels et des appellations à créer pour valoriser les produits pays (ici aux Makes).
Production maraîchère dans les hauts du Tampon.

Développer l’agritourisme, organiser l’accueil du public « à la ferme »

Objectifs

Principes

Illustrations

Accueil touristique à Marla, Mafate (2009).

Composer des lisières urbaines à l’interface urbanisation/agricole

« J’observe sur le terrain que de nombreux lotissements se développent dos à l’espace agricole. Je pense que la ville pourrait intégrer un peu plus les fonctionnalités que peuvent offrir l’espace agricole et la ruralité environnante. »

Le traitement des interfaces entre les zones agricoles et construites n’est pas acquis ni contraint par les documents de planification (PLU…). Deux outils juridiques permettant de protéger les zones agricoles peuvent être adapté aux lisières :

Objectifs

Principes

Illustrations

Tentative d’aménagement de lisière urbaine (vers Ravine des Cabris).
Croquis de principe pour les lisières urbaines (extraits du Plan de paysage de l’ouest, DDE DIREN Agence Folléa-Gautier 1997).
Principe de création de lisière urbaine pour un quartier déjà existant : limitation des emprises, économie d’espace, images avant-après (extrait du Schéma intercommunal d’aménagement des lisières urbaines, TCO, Agence Folléa-Gautier Zone UP, 2009).

Principe de création de lisière urbaine, coteau de l’Ermitage-les-Bains : images avant / après V1 / après V2 (extrait du Schéma intercommunal d’aménagement des lisières urbaines, TCO, Agence Folléa-Gautier Zone UP, 2009).

Améliorer fortement la qualité architecturale et paysagère des constructions agricoles
(habitats, équipements, ouvrages)

Objectifs

Principes

Illustrations

Valoriser le paysage agricole et la biodiversité par les structures arborées

« On ne peut pas fabriquer de grands paysages sans un seul arbre. »

Objectifs

Principes

Illustrations

Culture mixte de canne et de cocotiers. Une tentative d’agro-foresterie tropicale (pentes sud).
Exemples d’arbre signal (cocotier) isolé dans l’espace agricole et valorisant pour le paysage.
Exemples d’arbre signal (dracaena) isolé dans l’espace agricole et valorisant pour le paysage.
Exemples d’arbre signal (manguier) isolé dans l’espace agricole et valorisant pour le paysage.
Quelques bosquets de Philippias préservés dans les pâturages, plaine des Cafres.

Valoriser le patrimoine bâti agricole

Objectifs

Principes

Illustrations

L’ancienne usine de Vue Belle, réhabilitée en centre nautique. Un bon exemple de reconversion du patrimoine agricole bâti.
L’usine du Gol, très présente dans le paysage (ici vue depuis la RN 1). Une valorisation architecturale et paysagère nécessaire.
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© Atlas des paysages de La Réunion – DEAL Réunion – Agence Folléa-Gautier – 2023
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© Observatoire photographique du paysage de La Réunion – DEAL Réunion
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