Atlas / 2. Les fondements naturels et anthropiques / Les paysages et les reliefs
Avec les climats, les reliefs de La Réunion contribuent de façon majeure à la diversité des paysages et à l’organisation du territoire.
Pour le premier touriste venu, il suffit d’être monté au Maïdo pour comprendre que les reliefs apparaissent particulièrement spectaculaires et contribuent largement à l’attractivité de l’île, notamment de La Réunion intérieure (les « hauts »).
Le tableau d’ensemble, au début du présent Atlas, qui présente l’organisation des paysages de l’île, rappelle à quel point ce sont les reliefs qui différencient les paysages les uns des autres, notamment les paysages de La Réunion extérieure (les pentes) de ceux de La Réunion intérieure (cirques, ravines, plaines d’altitude et volcan). Il précise également l’importance des points de basculements de l’extérieur vers l’intérieur de l’île part les remparts, particulièrement vertigineux.
L’ensemble de la topographie s’explique à la fois par l’origine volcanique de l’île et par le jeu puissant de l’érosion. Globalement la richesse paysagère vient des reliefs à la fois gigantesques et chaotiques de l’intérieur des terres, plutôt que des pentes extérieures globalement régulières.
Les volcans du Piton des Neiges et du Piton de la Fournaise ont donné ces pentes extérieures, ou planèzes, inclinées de 6 à 8° vers l’Océan.
En termes de relief, ce ne sont pas elles qui font l’originalité et la diversité des paysages de La Réunion : d’une part parce qu’on les retrouve sur toutes les îles volcaniques de la planète, d’autre part parce qu’elles sont relativement régulières, de 0 à 1 000, 2 000 et jusqu’à 2 896 m au Grand Bénare. Sur l’ouest en particulier, elles apparaissent même plutôt monotones en étant particulièrement régulières, longues et fastidieuses à grimper en lacets multiples.
À l’échelle « macropaysagère », leur régularité, l’absence de cassures ou d’élévations particulières les rendent plutôt pauvres en « sites », et tend à les fragiliser, face notamment à la pression de l’urbanisation : lorsque le bâti commence à conquérir ces pans réguliers, rien ne vient physiquement l’interrompre et l’arrêter dans le sens de la pente : c’est le problème de l’ouest, qui tend à devenir une gigantesque banlieue de 0 à 800 m d’altitude, et des pentes du Tampon, subissant le même phénomène d’urbanisation diffuse de l’océan à la Plaine des Cafres, sur une amplitude de plus de 1 000 m d’altitude. Là, il faut les kilométrages de la RN3 pour se repérer dans l’urbanisation conquérante, qui ont donné leurs noms aux centralités successives s’enchaînant au fil de la route : le Onzième, le Douzième, le Quatorzième, le Dix-septième, le Dix-neuvième.
À échelle précise toutefois, on s’aperçoit que les micro-variations de reliefs dans les pentes sont le plus souvent à l’origine des centralités bâties. Autrement dit, même sur les pentes régulières, les bourgs ou « villages », du moins leurs centres, occupent des positions précises liées au relief. Le confortement des centralités, qui est un leitmotiv de l’aménagement du territoire depuis de nombreuses années, passe donc par la reconnaissance et l’identification de ces sites bâtis, afin que les extensions les confortent.
Quelques paysages de pentes se distinguent sur l’ensemble du pourtour :
Les paysages des planèzes sont largement enrichis par les ravines qui viennent les sillonner en creux. Taillée comme des canyons, chaque ravine compose un monde en soi, coupé du monde de la planèze : un paysage d’intérieur fait de falaises ou remparts, de végétation plus exubérante qu’ailleurs, de lits de rivières encombrés de chaos rocheux, parfois d’eau dormante ou torrentueuse selon les saisons, parfois même de bassins et de cascades, et partout d’ombre et de fraîcheur.
Protectrices et généreuses, les ravines sont les jardins naturels de la Réunion. Pour les écologues, il s’agit même de jardins naturels botaniques, par les rôles de refuges et de corridors biologiques qu’elles jouent pour la flore et la faune.
Dans cette situation, on ne s’étonnera pas de la valeur non seulement écologique, mais aussi sociale et culturelle dont jouissent les ravines ; profondément attractives, elles ont été largement représentées dans la littérature et l’iconographie Réunionnaises : Patu de Rosemont, l’un des « inventeurs » des paysages de La Réunion, les a largement représentées en aquarelles à l’aube du XIXᵉ siècle ; Leconte de Lisle, dans ses poèmes barbares, consacre une poésie au Bernica ; etc. voir la partie 3. Les fondements culturels. Socialement, les ravines cristallisent les loisirs simples de proximité que sont les pique-niques, la promenade et la baignade, dans des ambiances rafraîchissantes, encore très fréquentées malgré la puissance d’attraction concurrente du littoral balnéaire.
Toutefois, dans la perception générale des paysages des pentes, les ravines apparaissent globalement plutôt discrètes malgré leurs dimensions souvent imposantes. C’est qu’elles ne forment pas des « vallées », un terme quasiment étranger à la géographie Réunionnaise, mais des cassures en creux brutales, spectaculaires certes lorsque l’observateur se retrouve en bord de cassure, mais discrètes car cachées et incisées en creux lorsqu’on observe les pentes dans leur ensemble.
Cette discrétion visuelle est accentuée par la limitation naturelle de leur fréquentation : il est souvent impossible d’accéder au fond des ravines, encaissées entre des parois de remparts infranchissables. Les ravines apparaissent ainsi dans le paysage des pentes depuis l’aval, où le recul offert par le littoral les donne à voir « de face », et où leur embouchure les rendent plus accessibles. Les points de vue vers ces entailles deviennent alors précieux pour la qualité des paysages de l’île, sans parler des linéaires d’entrées dans ces ravines, souvent extraordinaires.
Sur les pentes extérieures de l’île, c’est moins la variété du relief qui compose des paysages différenciés que le gradient des altitudes, à lui seul facteur d’une grande variété de milieux naturels et de paysages. Il faut dire que les pentes sont globalement longues, de 0 à 1000, 2 000 et même près de 3 000 m d’altitude.
Ces milieux naturels, mis en valeur de façon différenciée par les hommes, ont conduit à une organisation elle-même étagée du territoire, qui a longtemps contribué à dessiner les paysages des pentes en strates successives.
Sur l’ouest par exemple, où les pentes sont particulièrement longues, on peut lire de bas en haut au moins neuf étages de paysages :
Tout à l’inverse des pentes extérieures de l’île, globalement régulières, les reliefs intérieurs composent des paysages radicalement contrastés, où l’érosion, couplée aux fractures des calderas et aux effondrements, est le grand sculpteur des paysages. C’est parce que l’érosion n’a pas agi sur la même durée qu’il convient de distinguer les « vieux » paysages du Piton des Neiges, de ceux encore jeunes du Piton de la Fournaise.
Les cirques sont le royaume de l’érosion, puissante et destructrice, qui casse et déblaye obstinément ce qui a surgi du cœur de la terre. À l’intérieur de chacun, des reliefs spécifiques contribuent à fractionner le paysage en ambiances différentes.
À Cilaos, c’est la chaîne de Peter Both, remarquable par la dentelle de sommets qu’elle découpe, et qu’il faut franchir en voiture par un tunnel, qui sépare le cirque de Cilaos proprement dit du cirque de Bras Rouge.
À Salazie, c’est le Piton d’Enchaing, dressé au plein cœur du cirque, qui organise les paysages en sous-unités distinctes, avec Hell-Bourg au sud, Grand Ilet au nord, Salazie à l’est qui commande l’exutoire magnifique du cirque par la rivière du Mât.
À Mafate enfin, c’est la Crête des Calumets, découpée entre le Piton des Calumets et le Morne de Fourche, qui sépare le cirque entre le sud (Roche Plate, la Nouvelle, Marla) et le nord (Grand Place, Ilet à Bourse, Ilet à Malheur, Aurère). Quant à la Rivière des Galets dans la partie Ouest, elle constitue un troisième ensemble en formant un imposant et austère canyon minéral au pied du vertigineux rempart du Maïdo/Grand Bénare. Mais, dans la partie nord, d’autres crêtes complexifient le découpage : la crête des Orangers, en contrebas du Maïdo, sépare l’Ilet du même nom du restant du cirque ; les crêtes d’Aurère et de la Marianne découpent l’aval du cirque en portes étroites avant le défilé de la rivière des Galets, l’ensemble étant couronné par le majestueux Piton Cabris, visible du littoral par l’échancrure de la rivière.
Le tiers sud-est de l’île, occupé par le massif du Piton de la Fournaise, n’offre pas la même configuration. Il propose de nouvelles formes de reliefs, moins attaquées par l’érosion. Complémentaires aux trois grands cirques, elles font une part de la diversité de l’île.
À la couture entre les deux volcans, deux « plaines » d’altitude offrent de surprenants paysages presque plats : la Plaine des Cafres, à 1 600 m d’altitude, et la Plaine des Palmistes en contrebas du rempart de Bellevue, à 900/1200m d’altitude.
Enfin il faut évoquer l’érosion littorale, facilement lisible par le déchaussement des filaos, dont les racines deviennent bizarrement aériennes avec la disparition du sable (voir le chapitre : les paysages et l’eau douce).