Les fondements naturels et anthropiques

Les paysages et le littoral

Les paysages et le littoral : cartographie - Agence Folléa‑Gautier © 2023

Un héritage maritime

Bornage

Jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle, les chaloupes, les goélettes, les chasse-marées, les lougres et les bricks transportent les hommes et les marchandises par voie de mer, tout autour de La Réunion : c’est le « bornage », forme de cabotage de quartier à quartier, qui contribue à l’animation du paysage littoral de l’île, ainsi qu’à son aménagement.

Cet usage permanent de la mer pour se déplacer influence la perception des paysages de l’île, dont les pentes sont vues à distance comme en témoignent quelques représentations anciennes de paysages. Voir la partie 3. Les fondements culturels.

Au XVIIIᵉ siècle, le café et les vivres sont embarqués depuis les différents quartiers et les bateaux convergent vers Saint-Denis, Saint-Paul et Saint-Pierre pour être embarqués sur des navires de plus fort tonnage qui les exportent. Au XIXᵉ siècle, c’est le sucre qui est ainsi transporté, tandis que les importations, débarquées surtout à Saint-Denis, sont ensuite distribuées partout dans l’île grâce au bornage.

Marines, ponts-débarcadères, phares et ports

Carte postale ancienne “Pont du Barachois, la Promenade” (AD 5FI16-138).
Carte postale ancienne "Saint-Denis, les marines - Débarquement des bœufs de Madagascar" (AD 5FI16-385).
Remontée de canot dans une marine. Dessin B. Folléa – agence Folléa-Gautier.
La marine d’Anse des Cascades.
Les salines de Pointe-au-Sel, avec Stella Matutina au loin, en 2007.

Jusqu’au XIXᵉ siècle, le littoral, peu accueillant du fait de la force de la mer et de l’absence de rade véritablement protectrice pour les bateaux, oblige à un accostage à même la plage, et dans les endroits les plus faciles d’accès pour accoster : les marines. Ces modestes marines, où une rampe permet aux pêcheurs de tirer les canots, font toujours partie du paysage littoral aujourd’hui et contribuent à son charme et son animation.

Dès 1738 toutefois, le gouverneur Mahé de Labourdonnais fait construire à Saint-Denis un « pont volant » (suspendu par deux grandes fourches) afin d’éviter aux chaloupes le franchissement de la barre qui se brise sur les galets. Ce système se développe au XIXᵉ siècle avec le besoin grandissant de transport, notamment pour la canne et le sucre, et les ponts de débarcadères se multiplient partout autour de l’île, construits le plus souvent en bois.

Le phare de Sainte-Suzanne.
Un phare est érigé à Sainte-Suzanne en 1845-46, toujours en place aujourd’hui — et même en restauration en 2022 —, tandis que celui du Port a disparu à la fin des années 1970 du fait de l’érosion du trait de côte.
Carte postale ancienne, montrant la marine de Saint-Denis et les entrepôts en bord de mer (AD 5FI16-241).

À proximité des marines et des ponts, des bâtiments d’entrepôts fleurissent sur le littoral. Certains existent encore aujourd’hui, marquant par exemple le paysage urbain des basses pentes littorales de Saint-Denis, jusqu’à la Préfecture, autrefois bureau des Messageries Maritimes.

La construction du Port de la Pointe des Galets, à partir des années 1880, modifie l’animation du paysage littoral par la navigation, drainant progressivement la totalité du trafic maritime de l’île, tandis que le train, puis le camion font progressivement disparaître le bornage.

Aujourd’hui une île assez peu maritime ?

Ouverture sur l’abstraction bleue de l’océan (Les Avirons).
Toile de fond bleue de l’océan, au large de Saint-Pierre.

La disparition du bornage a profondément modifié la perception et la représentation des paysages littoraux de La Réunion. Aujourd’hui, l’île n’apparaît pas aujourd’hui comme très… maritime. Et globalement le paysage de l’océan, très perceptible par le fait des planèzes inclinées vers lui, apparaît comme une abstraction, une grande page au bleu virginal, à peine troublée par la silhouette d’un cargo par-ci par-là.

Outre l’abandon de la mer comme voie de transport entre quartiers, plusieurs facteurs naturels expliquent la dimension surtout terrienne de l’île :

Pour toutes ces raisons, les paysages de l’île vus depuis l’Océan apparaissent à peu près effacés de la mémoire collective ; c’est une perception historique, datant de l’époque antérieure à l’avion, où toutes les arrivées et tous les départs s’effectuaient par bateau, et antérieures au tout-voiture, lorsque les chaloupes, les gabares et les goélettes assuraient une part des déplacements.
Pêcheurs à la marine Langevin.
Surf à Saint-Gilles-les-Bains.
L’ancien bassin de radoub de Saint-Pierre, transformé en port de plaisance.

Toutefois, depuis des décennies, le renforcement du tourisme balnéaire marque l’attractivité pour le littoral : création ou agrandissement des ports, bateaux à fonds de verre, pêche au gros, observation des baleines à bosse, observation des dauphins… s’ajoutent à la modeste plaisance et permettent de redécouvrir l’île vue de l’océan.

Sur la côte même, des appontements se recréent (Saint-Paul), les cales et les marines sont remises en valeur, les ports sont créés ou agrandis (Saint-Gilles, Sainte-Rose, Sainte-Marie…), tandis qu’un véritable tourisme littoral s’est développé pour découvrir les facettes contrastées des sites littoraux, à la faveur d’un tour d’île. Enfin, malgré la crise requin, la puissance d’attraction des plages magnétisent désormais la grande majorité des Réunionnais, avec des pics de surfréquentation pendant les week-ends et les périodes de congés. Voir la partie 5. Les processus, enjeux et orientations thématiques.

La diversité des paysages littoraux :
tour du littoral de l’île

Les rivages de La Réunion bénéficient de conditions naturelles favorables à la diversité et aux contrastes des paysages de l’île :
La plage de sable corallien à Saint-Pierre.
La Plage de Saint-Gilles-les-Bains en 2022 (Observatoire photographique des paysages).
La côte rocheuse des Souffleurs (Saint-Leu).
Parenthèse de sable blanc dans la côte sud rocheuse : Grande Anse.
La côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-BainsLa côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-Bains.
Le Cap Méchant.
La côte rocheuse de Sainte-Rose.
Océan et vacoas à Vincendo.
La côte rocheuse entre L’Etang-Salé-les-Bains et Saint-Louis.
La côte rocheuse des Colimaçons, et l’ouvrage de franchissement de la Petite Ravine.
Côte de galets à Manapany.
La côte de galets au Port.
La côte de galets à Saint-Louis.
Côte mixte de rochers et sable au Cap La Houssaye.
Côte mixte de Saint-Pierre/Pierrefonds : rochers, sables et galets.
Côte mixte sablo-rocheuse de Grand-Bois.
Chacune de ces côtes est riche de sites particuliers, où se concentre la fréquentation : outre les plages baignables, les bassins de baignade artificiels, les spots de surf (à Trois Bassins principalement), les spots de plongée, les pointes et caps, les anses et baies, les ports.
Le précieux sentier littoral entre Sainte-Rose et Anse des Cascades.
L’ensemble du littoral devrait progressivement devenir parcourable par un sentier littoral ; il offre déjà de belles continuités, comme au nord-est de Saint-Denis à Sainte-Suzanne (21 km) ou comme à Sainte-Rose entre le port et l’anse des Cascades.

L’excessive attractivité du paysage littoral

Il a fallu l’invention du tourisme balnéaire pour que les paysages littoraux prennent toute leur attractivité. Né au XIXe siècle, il s’agit au départ d’un tourisme réservé à quelques favorisés qui viennent en villégiature à Saint-Gilles, jusqu’alors modeste village de pêcheurs sur la grande concession Desbassyns, et coupé de Saint-Paul par les falaises littorales du Cap Champagne et du Cap La Houssaye. C’est la route qui change la physionomie de Saint-Gilles, commencée par l’ingénieur Bonnin en 1863, à la fois depuis Saint-Paul et depuis Saint-Leu. Elle est suivie par le train, dont un premier tronçon est inauguré en 1882.
Jour d’affluence sur la plage de l’Hermitage-les-Bains.
Le lagon à La Saline-les-Bains, sillonné par les kitesurfs.

Aujourd’hui, le tourisme et les loisirs liés à la mer ont élargi leur spectre d’intérêt : baignade, mais aussi marche et vélo sur la côte, plongée et snorkeling, pêche à la ligne et pêche au gros, bateaux à fond de verre, surf, planche à voile et kite surf, sans oublier le rituel pique-nique. Le littoral attire non seulement les touristes mais l’ensemble de la population de l’île. Cet attrait se concentre principalement sur les plages baignables, rares dans l’île.

L’attractivité est devenue telle que la côte, notamment la côte ouest balnéaire, est victime de surfréquentation. La crise requin qui a impacté la pratique des sports de glisse (surf) n’a pas réduit la fréquentation des plages du lagon, au contraire. Cela se traduit par des problèmes multiples de circulation et de stationnement des véhicules, de dégradation et de banalisation des espaces d’accueil, d’érosion des plages, de dégradation des fonds marins et lagonaires, de pollution. L’aire de stationnement du sport de surf de Trois bassins est saturée. Le réaménagement de la plage de l’Hermitage en 2021 apporte des solutions en termes de reconquête écologique, de recul du stationnement et de fréquentation du haut de plage.
Le Conservatoire du Littoral et la Loi Littoral sont des outils mis en place à peu près à temps pour éviter une urbanisation massive des côtes.

En 2022, le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres (CELRL), protège 1923 ha dont 89% acquis. Cela correspond à 18 sites. La répartition des sites s’organise en 1418 ha de forêts, 223 ha d’espaces naturels littoraux, 215 ha de savane à Heteropogon et 67 ha de zone humide littorale (Étang du Gol). Quant à la Loi Littoral, elle a efficacement freiné le développement urbain littoral des trente dernières années, qui s’est reporté plus à l’intérieur des terres sur les pentes.

La côte des Souffleurs, sauvage mais parasitée par l’excessive proximité au rivage de la RN1.
Néanmoins les paysages littoraux s’abstraient difficilement de la présence du bâti, les pentes des planèzes étant propices à de vastes covisibilités. Aussi les espaces littoraux proprement sauvages sont-ils rares et précieux sur une côte très densément habitée. Parmi les plages coralliennes, les plus fréquentées, seule celle de Grande Anse échappe à l’omniprésence du bâti ; le long du lagon de l’Ermitage-les-Bains, les filaos peuvent faire illusion et constituent de précieux espaces tampons entre le rivage et l’urbanisation balnéaire ; la plage noire de l’Etang-Salé-les-Bains, de belle ampleur, bénéficie de vrais espaces sauvages grâce à la forêt à laquelle elle s’adosse ; parmi les côtes rocheuses, seule celles de l’est échappent à la présence continue du bâti dans le paysage ; celles du sud, pourtant qualifiées de “grand sud sauvage”, voient leur part naturelle réduite à une mince bande ou à des sites accessibles ponctuels ; au nord-est, les champs de canne parviennent encore à descendre jusqu’au rivage, constituant des coupures d’urbanisation indispensables ; enfin la savane du Cap La Houssaye, bien que coupée par la Route des Tamarins et mangée partiellement par des projets d’aménagement, offre de vastes espaces de respiration sur un littoral en partie déchargé du trafic de transit lié à la RN1.
Accès confidentiel et peu valorisé au littoral de Souris Chaude.
Outre l’urbanisation, les paysages littoraux souffrent en certains points de privatisation, et presque partout de l’intense circulation des véhicules concentrés sur les routes littorales historiques que sont les RN 1 et RN2. Sur l’Ouest, la Route des Tamarins n’a pas été un levier suffisant pour rendre la côte aux circulations douces, piétonnes et cyclables. Des propositions ont été faites en ce sens dans le cadre de la charte paysagère du TCO de 2007.
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