Les fondements naturels et anthropiques

Les paysages et l'agriculture

Carte des espaces agricoles. Cartographie – Agence Folléa-Gautier © 2023

L’importance sensible des paysages agricoles de l’île, parties intégrantes du cadre de vie

Du littoral aux hauts : de larges ouvertures visuelles, qui rendent sensibles les paysages agricoles (et urbains) ; ici vers Piton Saint‑Leu et Le Plate.

La surface agricole utilisée (SAU) de La Réunion représente moins d’un cinquième du territoire, notamment en raison de l’importance du massif montagneux qui occupe la majeure partie de l’île. Les terres arables (terres labourables en culture ou en jachère) occupent 38 651 hectares en 2020 contre 42 814 en 2010. La canne à sucre prend 21 349 ha, soit 55% de la surface (chiffres agreste LA REUNION, Mémento 2021, décembre 2021).

Mais il faut se méfier des chiffres : ce petit 20% de la superficie de l’île illustre mal le rôle absolument majeur de l’agriculture dans la qualité des paysages de La Réunion.

Gestion des espaces ouverts par le pâturage bovin, sur la plaine des Cafres.
Ouverture vers les pentes du Dimitile, grâce aux champs de canne du premier plan.
Ce sont les espaces agricoles, cultivés ou pâturés, qui ouvrent le paysage et le donnent à voir. Sans eux, nos horizons bornés par les arbres et les constructions ne se dégageraient que sur le mince trait de côte vers la mer et haut en altitude, au-dessus de 2000 m, lorsque les arbres cèdent naturellement la place aux landes rases (branles) et aux rochers. Sans agriculture, pas de paysage ouvert, et ceci de zéro à 2000 m d’altitude !
Champs de canne et urbanisation imbriqués, sur les pentes de Petite-Ile : une agriculture au cœur des pratiques quotidiennes d'habitat, de travail et de déplacement.

Par ailleurs, les surfaces agricoles occupent essentiellement les mêmes espaces que ceux qui sont habités, longuement déroulés sur les pentes extérieures des grandes planèzes : qu’on le veuille ou non, les paysages agricoles sont ainsi au cœur des espaces les plus construits et circulés de l’île : ils font partie du cadre de vie le plus quotidien.

Enfin, cette occupation dominante sur les pentes les rend visuellement très présents et sensibles. Même dans les hauts, lorsqu’ils se parcellisent en minuscules surfaces isolées sur des îlets de cirques, l’importance des reliefs environnants les donne à voir très aisément.

Sauf exception comme les fonds de ravines cultivés, les paysages agricoles de La Réunion n’ont ainsi rien de confidentiels : ils sont sous le feu des regards des habitants et des visiteurs, et au cœur des pratiques quotidiennes d’habitat, de travail et de déplacement.

La diversité des paysages agricoles

Canne et ananas vers Mont Vert les Hauts.
Champ de lentilles, cirque de Cilaos.

La diversité des climats provoquée par les différences d’altitude et par la position géographique de l’île (21 degrés de latitude sud) a engendré un vaste éventail de productions allant des cultures purement tropicales (mangue, canne à sucre, vanille etc.) aux productions caractéristiques des zones tempérées (pomme de terre, élevages laitiers, etc.). Il existe peu d’endroits dans le monde où une telle variété agricole peut être observée sur un espace aussi restreint (2 500 km²). Par ce fait, l’agriculture participe à la valeur fondatrice et première de l’île : celle de la diversité et même des contrastes de ses paysages (voir l’introduction au présent Atlas). Aux vertes et lumineuses étendues de canne succèdent des vergers nombreux de manguiers et de letchis, des forêts cultivées pour la discrète vanille, des « alpages » ouverts sur les cieux des hauts et balayés par les nuages, des pâtures où les vaches ruminent à l’ombre des fougères arborescentes, des damiers de parcelles où se succèdent ananas, poireaux, oignons, géranium et tomates.

Aujourd’hui, le territoire agricole est occupé principalement par la canne à sucre (55 %), en léger recul toutefois (59 % en 2005), par les pâturages (28 %), puis par les cultures fruitières (8,5 %) et légumières (4,6 %), ces deux dernières en légère croissance (chiffres agreste LA REUNION, Mémento 2021, décembre 2021).

Les « riantes » campagnes diversifiées du XVIIIᵉ siècle

La vocation agricole diversifiée de l’île est fondée sur son potentiel naturel, mais elle est également largement ancrée dans son histoire.

Cette histoire se scinde principalement en deux périodes : celle de la conquête des terres, du café et de la diversification des cultures aux XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècles, et celle liée à la canne à sucre à partir du 19ᵉ siècle.

La mode du café, née dans les dernières années du règne de Louis XIV, prend de l’ampleur sous Louis XV. Après des premiers essais engagés en 1709 à La Réunion, le gouverneur Justamond ordonne en 1715 que chaque colon plante au moins cent caféiers (moka) par individu vivant sur sa plantation (libre ou esclave). L’ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon du 1er décembre 1724 punit même de mort les malfaiteurs qui détruiraient leurs beaux caféiers. Ce développement du café transforme les paysages de l’île, mais aussi son paysage social avec le développement de l’esclavage et l’enrichissement des plus fortunés et dynamiques capables d’investir. Dès son arrivée en 1735, Mahé de La Bourdonnais, gouverneur générale de l’île, conforte la vocation agricole de La Réunion, complémentaire à la vocation plus commerciale de Maurice, avantagée sur ce point par ses rivages plus accueillants au trafic maritime : port, escale militaire, escale sur la route des Indes. La Réunion quant à elle a vocation à servir de réservoir de main d’œuvre et de produits agricoles. À côté du café, les colons sont incités à produire du blé nécessaire aux navires de passage. Ils développent également le tabac, le coton (vers la Rivière d’Abord), l’indigotier (acheté à Saint-Domingue), le maïs, le riz, les plantes à parfum, les plantes vivrières, et les épices, ces dernières favorisées par Joseph Hubert à partir des conquêtes de Poivre. La palette de cultures s’élargit ainsi tout au long de ce siècle, révélée par les témoignages enthousiastes de l’époque sur l’aspect « riant » des campagnes (voir la partie 3. Les fondements culturels). L’apogée de la diversité paysagère de l’île se situe sans doute au tournant des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Elle est révélée par un des témoins de l’époque les plus importants : Bory de Saint-Vincent (voir la partie 3. Les fondements culturels). La carte de Claude Wanquet (1990) sur la situation économique de Bourbon en 1788 précise la répartition de ces diverses cultures sur les pentes extérieures de l’île : le blé et le maïs dominants partout, l’élevage dans les parties basses de l’ouest et du sud, le riz et les légumes sur les mi-pentes, le coton un peu plus haut.

Les paysages agricoles fluctuants liés à la canne à sucre depuis le XIXᵉ siècle

Carte postale ancienne : Saint-André, la coupe des cannes à sucre - début du XXᵉ siècle - (AD 5FI14-22).

À partir du début du XIXᵉ siècle, le développement de la canne à sucre va progressivement supplanter de nombreuses cultures et contribuer à unifier quelque peu les paysages des pentes cultivées. C’est la perte de l’Ile de France et de Saint-Domingue, entérinée par le Traité de Paris de 1815 signé avec les Anglais, qui pousse la France à développer la culture et l’industrie de la canne sur l’île redevenue « Bourbon » : le pays manque en effet de sucre. Par ailleurs, les cyclones de 1806 et 1807 ont ravagé toutes les plantations ; dans cette reconstruction nécessaire, la canne offre l’avantage d’être plus résistante aux cyclones que bien d’autres cultures, notamment le café. L’île prospère au XIXᵉ siècle grâce à la canne : sa culture exige de la main d’œuvre et des capitaux pour les installations coûteuses de son industrie.

L’immigration indienne tamoule débute dès 1828, vingt ans avant l’abolition de l’esclavage par Sarda Garriga. Les premiers Chinois arrivent à partir de 1844. L’abolition de l’esclavage va accélérer le phénomène.
Ainsi, curieusement, la canne au 19e siècle est en quelque sorte tout à la fois vectrice d’une forme d’uniformisation des paysages culturaux et vectrice d’une forme de diversification des paysages culturels.

L’usine de Vue Belle, réhabilitée en centre nautique.

Jusqu’à 200 usines sortent de terre dans les années 1830. Elles sont principalement localisées au nord-est et égrenées à l’ouest et au sud.

Il ne reste aujourd’hui que celles du Gol et de Bois Rouge en activité ; mais plusieurs ruines marquent les paysages des pentes basses de l’île par la silhouette de leur cheminée et leurs vieux murs.

Le développement de la canne est tel que dès 1850 s’instaure une dépendance alimentaire extérieure, du fait de l’abandon des cultures vivrières, du blé, du riz, au bénéfice de la monoculture de canne.

Le dernier tiers du 19e siècle voit se dessiner une crise économique avec l’effondrement du cours du sucre ; les causes sont multiples : maladie de la canne attaquée par une chenille, le Borer, développement en Europe de la betterave à sucre, épidémies de choléra puis de paludisme provoquées par l’afflux de l’immigration qui déciment la population, manque de capitaux et de main d’œuvre.

Pour faire face, la diversification est ainsi à nouveau recherchée : production de vanille (on exporte 199 tonnes en 1902), développement du manioc pour faire du tapioca (introduit dès 1736 par La Bourdonnais ; 4000 tonnes de farine exportées en 1909), mais aussi thé, mûrier, coton, paille chouchou, plantes à parfum. Ces dernières sont variées : ylang ylang vers La Possession/Saint-Paul, géranium et vétyver dans les hauts, gardénia et patchouli à La Montagne, mais aussi champac, longose (dont on extrayait une cire servant de base aux parfums), etc. Les belles années des plantes à parfums se situent vers 1930.

Le redressement de la canne s’amorce à partir de 1920 : 40 346 tonnes en 1922, 110 702 tonnes en 1940. Elle s’écroule à nouveau au cours de la deuxième guerre mondiale, les plantes vivrières se substituant à la canne pour assurer la survie de la population : 13 164 tonnes en 1944.

Le redressement sera rapide après la départementalisation, avant de nouvelles difficultés dans les années 1960. La filière canne est sauvée par un plan de modernisation de l’économie sucrière : épierrage, renouvellement des cannes et amélioration génétique, engrais, rationalisation des transports, irrigation, remembrement des terres, concentration et modernisation des usines.

Aujourd’hui, deux cents ans après l’impulsion de son développement, la filière canne – sucre – rhum – bagasse demeure une des activités essentielles de l’île. La culture de la canne occupe 55 % de la SAU et représente près du tiers de la valeur agricole finale. Deux unités sucrières (Le Gol et Bois Rouge) et une douzaine de centres de réception reçoivent et traitent chaque année entre 1 800 000 et 2 000 000 tonnes de cannes. L’usine de Bois Rouge brasse l’ensemble de la récolte de la région dite « au vent » ainsi que les cannes issues du centre de réception du Grand Pourpier (Ouest), tandis que l’usine du Gol traite la production des bassins du Sud (Gol et Grand-Bois) et des plates-formes des Tamarins et Stella Matutina, situées elles dans l’Ouest.
La filière canne à sucre de la Réunion compte au total 2 sucreries, 11 centres de réception (« balances ») et 3 distilleries produisant majoritairement du rhum de sucrerie. Elle emploie 3 200 planteurs. L’année 2015, avec 1 896 104 tonnes (contre 1 763 656 tonnes de canne en 2014), pour une richesse moyenne de 13,28 % (13,91 % en 2014), reste la meilleure campagne après 3 années marquées par des sécheresses successives. Les objectifs de production sont de 2 millions de tonnes (https://daaf.reunion.agriculture.gouv.fr/Canne,105).

Environ 200 000 tonnes de sucre (196 000 t en 2014) en sont extraites pour un quota de 295 000 tonnes dans le cadre de l’OCM sucre. Ces deux unités sont performantes. Elles sont couplées chacune avec une centrale thermique fonctionnant à la bagasse qui produisent une part de l’énergie électrique nécessaire à l’île. Le sucre est le premier produit exporté de l’île (70 % des exportations totales). Par délibération du 22 novembre 2021, le Conseil Régional a voté à l’unanimité une nouvelle motion invitant l’Etat à prendre des engagements sur le long terme pour la filière canne, dans la perspective des négociations sur la future Convention Canne. Le Conseil régional considère que les enjeux de la filière canne sont inséparables du modèle de développement économique, social et environnemental de La Réunion.

Sur les dernières décennies, la surface cannière a fortement diminué, passant de 37 860 hectares cultivés en 1987 à 30 900 en 1993, et à 21 350 ha en 2020 en partie stabilisée grâce notamment à la vaste opération de remise en culture de terres en friche, orchestrée par la Chambre d’Agriculture, la SAFER, la DAF et certaines communes.

Les exploitations de taille moyenne (5.8 ha, Agenda 2021 Chambre d’agriculture de la Réunion) sont majoritaires dans l’île.

Les rendements commerciaux moyens de 75 t/ha sont en progression. Selon les conditions de culture, le rendement varie de 50 à 120 tonnes/ha, sachant que dans les zones les plus favorables, le potentiel peut atteindre les 200 t/ha.

L’activité canne à sucre est la principale source d’emplois de l’agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d’exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations.

L’agriculture créatrice de nouveaux paysages

Depuis les années 1960, la diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l’élevage.

Cette diversification compose aujourd’hui des paysages récents ou nouveaux, à une altitude égale ou supérieure à celle de la canne. Elle enrichit l’étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l’île (voir l’introduction au présent atlas).

Pâturages de la Plaine des Cafres.
Pâturage à sophoras sur les pentes de Notre Dame de la Paix.
Sur l’Ouest, au-dessus des 800 m d’altitude à laquelle navigue la route Hubert-Delisle, l’élevage s’est considérablement développé au cours des dernières décennies, occupant les friches laissées par l’abandon du géranium ; les acacias-mimosas (espèce exotique envahissante) qui servaient à la cuite du géranium forment aujourd’hui un bocage en suivant les limites des enclos et les bords des ravines. On retrouve l’élevage sur la plaine des Cafres, descendant même sur les pentes hautes du Tampon et de Notre Dame de la Paix. Dans le cirque de Salazie, Grand Ilet concentre les élevages porcins et avicoles, matérialisés principalement par des bâtiments de tôle.
Cultures mixtes sur les pentes du Petit Tampon.

Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d’altitude, entre l’étage de la canne et celui de l’élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, ouverts sur les grands paysages du littoral et des hauts.

La production locale en fruits et légumes répond en 2021 à 70 % des besoins du territoire. La production annuelle s’élève à 30 000 tonnes de fruits et légumes en moyenne. 67 % des produits sont engagés dans une démarche qualité, 7 % sont issus de production biologique.

Ananas, bananiers et canne sur les pentes de Sainte-Anne.

Les exportations de fruits concernent principalement l’ananas, puis le letchi et le fuit de la passion. En 2021, la production locale de fruits est de 30 305 tonnes, les importations de 20 000 tonnes et les exportations de 3 600 tonnes.

Les légumes sont surtout produits dans le Nord, le cirque de Salazie, les hauts de l’ouest, Saint Joseph et le Tampon où les conditions sont les plus favorables. En 2021, la production locale de légumes est de 16 285 tonnes, les importations de 17 000 tonnes et les exportations de 25 tonnes.

Les principales productions sont les tomates, pommes de terre, choux, laitues, carottes, oignons, pour les légumes, ananas, letchis, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits. Les importations de produits frais représentent 37 000 t en 2021, (dont Fruits : agrumes (50%), pommes (25%), raisins, poires, légumes : ail (10%), oignons (50%), pommes de terre, (20%) carottes (17%).

La filière export a pris un essor ces dernières années avec une progression annuelle de 5 à 10 % par an pour atteindre environ 4 000 tonnes. La filière envisage de doubler les volumes d’ici 10 ans en favorisant l’accès au fret et la mécanisation des productions.

Ouverture sur le paysage des pentes du Tampon (vers le Bras de Pontho) grâce aux cultures légumières du premier plan.
En termes de paysage, cette diversification est source d’enrichissement et de valorisation, mais aussi d’ouverture et de vues précieuses, car ces cultures sont basses et laissent passer le regard, contrairement à la canne qui, avec ses 3 m de hauteur, tend à tout masquer de février à juin, avant sa coupe à partir de juillet.
Pépinière dans le beau cadre du Grand Pourpier (Cambaie, Saint-Paul).

La présence d’une solide filière horticole est essentielle pour agir sur les paysages de l’île, en disposant de la qualité et de la quantité de végétaux nécessaires aux plantationq. Les principales productions horticoles sont les arbres d’ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Cette filière représente 102 ha en 2021 et 272 professionnels fédérés en un syndicat.

Longtemps peu organisée, la filière horticole est en cours de reconstruction avec la création d’une marque collective « Plant’Pei » en 2018 sous l’initiative de l’Union des Horticulteurs et Pépiniéristes de La Réunion (UHPR). La filière doit faire face à des importations massives et des ventes sauvages. Cependant, la spécialisation croissante et une maîtrise technique des horticulteurs valorise les produits de meilleure qualité. Les manifestations à caractère horticole offrent aux exploitants un marché de choix ; la pandémie de Covid 19 a fragilisé la filière du fait de l’impossibilité de vente en période de confinement et l’annulation des manifestations.

Vanille en forêt à Saint-Philippe.
Maison du curcuma, Plaine des Grègues.
Quant aux filières végétales traditionnelles, elles connaissent un rebond depuis les années 2010. Plusieurs filières émergentes sortent de l’ombre : les racines péi, qui participent à la diversification de l’alimentation, ; les PAPAM (Plantes aromatiques et médicinales), niche pour le monde agricole qui s’appuie sur la connaissance des “zerbages péi”, la vanille fédérée par une coopérative rassemblant une centaine de producteurs ; le café et le cacao, cultures de niche destinées à l’export, et des projets expérimentaux de riziculture.
Jardins partagés d’Anchaing, au centre-ville de La Possession.
De nombreuses initiatives locales, portées par des communes, des bailleurs ou des associations encouragent l’agriculture péri urbaine. Le Département développe des PPEAN (périmètres de protection d’espaces naturels et agricoles périurbains) pour pérenniser le foncier agricole soumis à la pression de l’urbanisation, avec un premier périmètre approuvé sur Petite-Ile. L’agriculture marchande favorise l’installation d’agriculteurs sur des espaces dédiés en frange de la ville, nécessitant souvent un éclairage réglementaire pour des projets d’agriculture provisoire sur des zones urbaines. Ce type d’agriculture peut soutenir les produits de niche, les circuits courts intégrant notamment les AMAPEI. L’agriculture non marchande concerne les habitants motivés par une recherche de sens, de cohésion sociale, de retour à la terre, d’alimentation saine et de biodiversité. Le développement de démarches d’agroécologie qui puisent dans le savoir-faire traditionnel local invite à un changement de pratique et de regard sur les modes de production agricole.

Six types de paysages agricoles

Au total aujourd’hui six types de paysages agricoles se rencontrent à travers l’île : les paysages de canne, les paysages agricoles mixtes, les paysages de savane, les paysages de pâturages d’altitude, les paysages de nature jardinée et les paysages agricoles des cirques et des îlets.

Les paysages de canne

Paysage de canne sur les pentes de Saint-Benoît.
La canne soulignant la géographie des ravines sur les pentes ; ici la ravine du Mouchoir Gris, pentes des Makes.
La canne et la toile de fond offerte par l’échancrure de la rivière des Pluies.
Floraison de canne sur les pentes de Petite Ile.
Depuis 200 ans, la canne à sucre domine l’occupation agricole du sol. Sa présence sur pente (et non sur plaine plate comme c’est le cas dans beaucoup de pays producteurs) génère de magnifiques paysages, longuement déroulés sur les planèzes extérieures de l’île entre 0 et 800 m d’altitude, rehaussés par les toiles de fond bleutées ou grises des hauts boisés. Son vert clair illumine les pentes, tranchant avec le vert dense des forêts. En s’approchant au plus près des cassures de pente, les champs de canne dessinent notamment soigneusement le lacis des ravines sombres qui les incisent, révélant la géographie fondamentale des planèzes. Ils animent les paysages au fil des saisons, par leurs couleurs, leurs hauteurs et leur floraison : beiges après la coupe de l’hiver, ils reverdissent rapidement le reste de l’année ; bas après la coupe, ils forment des murs végétaux de 3 m de hauteur en fin de saison des pluies, masquant alors provisoirement les vues ; l’étalement de la saison de coupe sur six mois (de juillet à décembre) dessine un damier de parcelles (le plus souvent entre 5 et 20 ha), de hauteurs et de couleurs variées, qui enrichit les paysages ; enfin la floraison soyeuse, blanche aux reflets mauves, allume les étendues cannières avant leur exploitation hivernale.
Les grandes étendues couvertes de canne au-dessus de Piton Saint-Leu : rare paysage de canne pure, non conquise par l’urbanisation diffuse.
Les quelques grandes propriétés foncières encore existantes contribuent à la lutte contre le mitage ; elles composent les rares paysages agricoles épargnés par l’urbanisation diffuse : dans le Nord-est sur Sainte-Marie/Sainte-Suzanne, dans le nord-ouest à Savanna, dans l’ouest à Villèle et l’Ermitage, dans le sud-ouest au-dessus de Piton Saint-Leu et de Saint-Louis. Elles composent alors de grandes perspectives paysagères précieuses, et certaines forment des coupures d’urbanisation, protégées à ce titre par la Loi Littoral et par les documents d’urbanisme.
L’ancienne sucrerie de Grand-Bois.
Vieil alignement de palmiers royaux à Savanna.
Bois de chandelle dans les champs de canne de l’ouest, vers le Plate/Stella.
Bois de chandelle vers Petite Ile.
La longue histoire de la canne a par ailleurs légué un patrimoine qui marque encore les paysages des pentes :
Alignement de cocotiers dans les champs de canne de la plaine du Gol.

Autant d’éléments qui enrichissent les paysages, mais qui sont fragiles car ponctuels et souvent ruinées par défaut d’usages.

Les énormes efforts d’irrigation engagés par le projet ILO (voir le chapitre Les paysages et l’eau douce), ont étendu progressivement les champs de canne sur l’ouest à une altitude basse longtemps réservée au pâturage de zone sèche, déroulant des étendues vertes nouvelles, striées par les bandes sombres d’andains formés par l’épierrage des champs.

Les paysages agricoles mixtes

Ananas et vergers sur les pentes de Mont-Vert.
Canne et plantes aromatiques sur les pentes de Petite-Ile.
Cultures diversifiées sur les pentes du Sud (Pitons Manapany).
Verger de papayers, entre La Saline et Les Avirons.
Exemple de paysage agricole jardiné : mixité palmiers et agrumes, Le Tévelave.
Cultures mixtes vers Petite-Ile.

À côté de la canne, des cultures diversifiées et spécialisées de légumes, de fruits, de plantes à parfum, dessinent des paysages agricoles radicalement différents. Les parcelles en général petites composent un damier composite qui font de l’ensemble un paysage agricole jardiné. Il marque tout particulièrement le sud, au-dessus de Saint-Pierre/le Tampon vers 1000 m d’altitude, ou plus proche du littoral vers Petite-Ile et Saint-Joseph, la canne se mêlant alors à l’ensemble.

Ouverture sur le paysage des hauts de Sainte-Anne à la faveur d’un champ d’ananas au premier plan.
L’aspect ouvert de ces cultures dégage là encore des perspectives lointaines remarquables sur le littoral comme sur les hauts, à la fois familières par les cultures en place et grandioses par les bleutés des horizons lointains montagneux ou océaniques.
Cressonnière et bananeraie dans le fond de la rivière Langevin.
Des paysages agricoles et jardinés, plus intimistes, marquent également les fonds de ravines fertiles et les rares plaines humides comme celle de l’étang de Saint-Paul.

Les paysages de savane

La savane de Pointe au Sel.
La savane du Cap la Houssaye, en avril 2005.

Les paysages de savane sont bien des paysages agricoles et non des paysages « naturels ». Spécifiques de l’Ouest au climat sec et chaud sur les pentes basses, ils sont directement liés à l’élevage, développé dès l’arrivée des hommes sur l’île, entretenu par le feu pour favoriser la repousse vert tendre mangée par les cabris (chèvres) ou les bœufs Moka (zébus). Le passage répété du feu et des animaux a conduit au développement de plantes pyrophytes (qui profitent du feu), notamment de l’Heteropogon contortus. Cette graminée fait presque à elle seule le paysage de savane qui en résulte : elle constitue de vastes étendues lumineuses rousses-orangées en saison sèche, verte en saison des pluies et bronze en saison intermédiaire : des paysages uniques qui concourent fortement à la diversité contrastée des paysages de l’île, valeur fondatrice de La Réunion comme évoqué dans le tableau d’ensemble au début du présent atlas. Ils sont enrichis par les silhouettes de quelques arbres résistants aux dures conditions de sécheresse qui règnent : notamment le bois noir (Albizzia lebbeck).

Les fourrés épineux à z’épinards vers la pointe des Châteaux (Saint-Leu), en 2005.

Les paysages de savane sont en voie de disparition depuis plusieurs décennies, mangés par l’urbanisation et par les mises en culture rendues possibles par l’irrigation. Ce sont des paysages fragiles, qui exigent de grandes surfaces entretenues pour être valorisants : lorsqu’ils se réduisent à quelques arpents pris entre deux secteurs habités, ils prennent l’image d’une friche peu valorisée ; lorsqu’ils sont abandonnés par le pâturage et non incendiés, ils s’arment, gagnés par les touffes de chokas ou les fourrés denses et épineux du Zépinard (Prosopis juliflora), ce dernier peu attractif par sa couleur grisâtre et son caractère piquant impénétrable. On le voit en particulier entre la Grande Ravine et Saint-Leu, sur les pentes basses des Colimaçons et la Pointe des Châteaux.

C’est pourquoi les savanes tendent à être préservées au moins sur les deux grands caps de l’Ouest : le Cap La Houssaye d’une part et le Pointe au Sel d’autre part.

Sur le Cap La Houssaye, la présence de la Route des Tamarins supprime la zone de calme que constituait le Cap ; mais elle a révélé au plus grand nombre la valeur méconnue de ces vastes étendues lumineuses ; la conception de la route dans les années 2000 a pris le parti de valoriser ce paysage sensible de la savane en faisant appel à des paysagistes concepteurs, donnant lieu à un tracé des chaussées en terrasses séparées et décalées en altitude, au façonnage adapté des talus de déblais et de remblais, à des ouvrages d’art soignés, à la perméabilité physique de la route pour laisser passer les troupeaux, et à une palette végétale adaptée aux conditions de milieu.

Les paysages de pâturages d’altitude

Pâturages sur les pentes hautes du Tampon/Notre-Dame de la Paix.
Pâturages sur les pentes du volcan.
Plus haut en altitude, à partir de 800 m d’altitude où les conditions climatiques plus fraîches et plus humides deviennent défavorables à la canne, de tout autres paysages liés à l’élevage se dessinent : verts pâturages, bordés de forêts, parfois piqués de fougères arborescentes, où paissent des vaches. L’ensemble baigne dans une ambiance lumineuse tôt dans la matinée puis rapidement brumeuse et mystérieuse le restant de la journée. Ce sont des paysages déjà traditionnels sur la Plaine des Cafres, plus récents sur les hauts de l’Ouest où ils se sont substitués aux champs de géranium à partir des années 1990. Ils contribuent puissamment à la palette surprenante de diversité des paysages Réunionnais. Sur la Pointe des Cafres en particulier, ils jouent un rôle stratégique particulièrement important en étant traversés par la RN3 et en servant de seuil aux paysages les plus attractifs et touristiques de l’île formés par le massif du Piton de la Fournaise. Le développement anarchique de l’urbanisation, de bâtiments agricoles et d’équipements menace malheureusement ces magnifiques étendues de la Plaine des Cafres, qui paraissent grands et sont en réalité petits et fragiles.

Les paysages de nature jardinée

Culture de vanille en sous-bois vers Sainte-Rose : une nature jardinée.
Immersion dans la nature jardinée, vers Saint-Philippe.
Nature jardinée, vers le Baril.

La « nature jardinée » a été identifiée dans « Paysage Côte Est » (Bertrand Folléa, Océan éditions, CAUE 1990, cf. onglet DOCUMENTATION), qualifiant ainsi les paysages de la côte de Saint Benoît, Sainte-Rose, Saint-Philippe, formés par les cultures arborées mêlées qui accompagnent les cases égrenées au fil de la RN 2 : vergers plantureux plantés de letchis puissants, d’agrumes ronds et de bananiers aux verts lumineux, de vacoas étranges porteurs de vanille, de palmistes gracieux, d’arbres à pain vernissés et élégants, et de bien d’autres espèces généreuses ; autant d’essences magnifiques par leurs formes, souvent mêlées les unes aux autres, plus épanouies que partout ailleurs du fait d’un climat chaud et humide favorable, l’ensemble constituant une nouvelle facette particulièrement originale du kaléidoscope agricole de l’île. Outre la côte est, on retrouve la nature jardinée çà et là autour de l’île, sur la côte sud ou à la faveur des conditions favorables, humides et abrités des vents, rencontrées en fonds de certaines ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin, etc).

Les paysages agricoles des cirques et des îlets

Fragile îlet cultivé vers Mare à Martin/Bé Cabot, cirque de Salazie.
Agriculture jardinée des hauts, Les Makes.

Les espaces agricoles développés dans les cirques, et notamment perchés sur les étroits « replats » formés par les îlets, contribuent à la valeur paysagère des hauts : ils tempèrent la rudesse des puissantes pentes ravinées qui marquent les horizons de toutes parts, soulignent la présence des hommes dans des conditions naturelles improbables, révèlent et donnent à lire des sites étonnants. Ils proposent des paysages familiers et domestiques qui renforcent l’aspect oasis des îlets, en contrepoint des vastes étendues naturelles ou boisées alentours. Ils contribuent aussi à la diversité et à l’agrément des paysages de l’île en soulignant les spécificités propres à certains secteurs : le chouchou à Salazie, la vigne et la lentille à Cilaos, le cresson dans le fonds des ravines en eau (rivière du Mât, rivière Langevin…), etc.

Une agriculture de plus en plus urbaine

Les environs de Petite Ile.
Imbrication agri-urbaine, ici sur les pentes de Petite Ile .

Globalement l’agriculture prend place principalement entre l’urbanisation littorale et les forêts ou espaces naturels d’altitude, sur les longues pentes extérieures de l’île, entre 0 et, selon les pentes, 400, 800 ou 1200 m d’altitude. De ce fait, elle est en concurrence directe avec la pression du développement de l’urbanisation d’habitat et d’activités, des infrastructures et des équipements, principalement concentrés sur les 800 premiers mètres d’altitude. La SAU a d’ailleurs diminué de 53 200 ha en 1980, à 43 700 ha en 2000 et à moins de 39 000 ha en 2020. Chaque année, l’urbanisation consomme 500 ha de terres agricoles : soit l’équivalent de 3 terrains de football par jour tous les jours…

Cette situation se lit aujourd’hui dans le grand paysage, avec une présence presque systématique du semis d’urbanisation blanche piquant les étendues vertes agricoles, dans une imbrication parfois très étroite et complexe. Partout où porte le regard, le bâti est largement présent dans le grand paysage agricole ; il faut cadrer serré pour échapper à la présence des constructions. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, les paysages agricoles de La Réunion sont de fait presque partout périurbains, et les logiques de développement ne peuvent ignorer les concepts d’agriculture périurbaine et urbaine.

Grandes étendues agricoles vers Piton Saint-Leu.
Grandes étendues agricoles vierges de construction à Savanna.
Grands espaces cultivés des pentes de l’Ermitage à l’horizon, récemment irriguées par le projet ILO, vue en 2005.
Dans ce contexte, les grands paysages agricoles vierges de présence d’urbanisation, purement agricoles, deviennent particulièrement rares et précieux : ils constituent de véritables respirations sur les pentes (on parle de « coupures d’urbanisation »), bienvenues dans un contexte généralisé d’urbanisation diffuse et globalement médiocre ; en étant ouverts, ils mettent en scène de façon majestueuse les vues, non seulement vers le littoral et l’océan à l’aval, mais aussi vers les hauts et leurs sommets découpés comme de la dentelle, bleutés dans la vive lumière du matin, plus mystérieux l’après-midi en se voilant d’écharpes nuageuses. Il existe ainsi de véritables perspectives paysagères d’importance patrimoniale majeure, fondées sur l’agriculture.
Promenade dans les champs vers Le Bernica.
Mais surtout, la situation périurbaine de l’agriculture apparaît encore peu reconnue économiquement et socialement. Outre son avenir économique même, c’est l’image de l’agriculture qui apparaît fragilisée, voire dégradée par la présence non maîtrisée d’urbanisation diffuse dans les parcelles ; mais c’est aussi l’usage socio-économique de l’espace agricole qui apparaît aujourd’hui décalé. Alors que les espaces naturels des hauts (volcan, cirques, forêts) comme ceux des plages sur le littoral, sont publics et largement appropriés par la population, les espaces agricoles sont privés et l’appropriation est au mieux visuelle : hormis leur rôle premier d’espaces de production, ils constituent de simples « décors » pour les habitants et visiteurs, visuellement sensibles mais vides d’usages. L’appropriation physique, par les chemins, par les « séjours à la ferme », par l’achat direct chez le producteur, ou par tout autre moyen favorisant l’échange entre agriculteurs et visiteurs, mais aussi entre espaces agricoles et urbains, reste un enjeu fort pour faire de l’agriculteur un acteur reconnu du paysage (cadre de vie et mode de vie) et de l’agriculture une pièce maîtresse de l’aménagement du territoire.
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