Atlas / 2. Les fondements naturels et anthropiques / Les paysages et l’agriculture
La surface agricole utilisée (SAU) de La Réunion représente moins d’un cinquième du territoire, notamment en raison de l’importance du massif montagneux qui occupe la majeure partie de l’île. Les terres arables (terres labourables en culture ou en jachère) occupent 38 651 hectares en 2020 contre 42 814 en 2010. La canne à sucre prend 21 349 ha, soit 55% de la surface (chiffres agreste LA REUNION, Mémento 2021, décembre 2021).
Mais il faut se méfier des chiffres : ce petit 20% de la superficie de l’île illustre mal le rôle absolument majeur de l’agriculture dans la qualité des paysages de La Réunion.
Par ailleurs, les surfaces agricoles occupent essentiellement les mêmes espaces que ceux qui sont habités, longuement déroulés sur les pentes extérieures des grandes planèzes : qu’on le veuille ou non, les paysages agricoles sont ainsi au cœur des espaces les plus construits et circulés de l’île : ils font partie du cadre de vie le plus quotidien.
Enfin, cette occupation dominante sur les pentes les rend visuellement très présents et sensibles. Même dans les hauts, lorsqu’ils se parcellisent en minuscules surfaces isolées sur des îlets de cirques, l’importance des reliefs environnants les donne à voir très aisément.
Sauf exception comme les fonds de ravines cultivés, les paysages agricoles de La Réunion n’ont ainsi rien de confidentiels : ils sont sous le feu des regards des habitants et des visiteurs, et au cœur des pratiques quotidiennes d’habitat, de travail et de déplacement.
La diversité des climats provoquée par les différences d’altitude et par la position géographique de l’île (21 degrés de latitude sud) a engendré un vaste éventail de productions allant des cultures purement tropicales (mangue, canne à sucre, vanille etc.) aux productions caractéristiques des zones tempérées (pomme de terre, élevages laitiers, etc.). Il existe peu d’endroits dans le monde où une telle variété agricole peut être observée sur un espace aussi restreint (2 500 km²). Par ce fait, l’agriculture participe à la valeur fondatrice et première de l’île : celle de la diversité et même des contrastes de ses paysages (voir l’introduction au présent Atlas). Aux vertes et lumineuses étendues de canne succèdent des vergers nombreux de manguiers et de letchis, des forêts cultivées pour la discrète vanille, des « alpages » ouverts sur les cieux des hauts et balayés par les nuages, des pâtures où les vaches ruminent à l’ombre des fougères arborescentes, des damiers de parcelles où se succèdent ananas, poireaux, oignons, géranium et tomates.
Aujourd’hui, le territoire agricole est occupé principalement par la canne à sucre (55 %), en léger recul toutefois (59 % en 2005), par les pâturages (28 %), puis par les cultures fruitières (8,5 %) et légumières (4,6 %), ces deux dernières en légère croissance (chiffres agreste LA REUNION, Mémento 2021, décembre 2021).
La vocation agricole diversifiée de l’île est fondée sur son potentiel naturel, mais elle est également largement ancrée dans son histoire.
Cette histoire se scinde principalement en deux périodes : celle de la conquête des terres, du café et de la diversification des cultures aux XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècles, et celle liée à la canne à sucre à partir du 19ᵉ siècle.
La mode du café, née dans les dernières années du règne de Louis XIV, prend de l’ampleur sous Louis XV. Après des premiers essais engagés en 1709 à La Réunion, le gouverneur Justamond ordonne en 1715 que chaque colon plante au moins cent caféiers (moka) par individu vivant sur sa plantation (libre ou esclave). L’ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon du 1er décembre 1724 punit même de mort les malfaiteurs qui détruiraient leurs beaux caféiers. Ce développement du café transforme les paysages de l’île, mais aussi son paysage social avec le développement de l’esclavage et l’enrichissement des plus fortunés et dynamiques capables d’investir. Dès son arrivée en 1735, Mahé de La Bourdonnais, gouverneur générale de l’île, conforte la vocation agricole de La Réunion, complémentaire à la vocation plus commerciale de Maurice, avantagée sur ce point par ses rivages plus accueillants au trafic maritime : port, escale militaire, escale sur la route des Indes. La Réunion quant à elle a vocation à servir de réservoir de main d’œuvre et de produits agricoles. À côté du café, les colons sont incités à produire du blé nécessaire aux navires de passage. Ils développent également le tabac, le coton (vers la Rivière d’Abord), l’indigotier (acheté à Saint-Domingue), le maïs, le riz, les plantes à parfum, les plantes vivrières, et les épices, ces dernières favorisées par Joseph Hubert à partir des conquêtes de Poivre. La palette de cultures s’élargit ainsi tout au long de ce siècle, révélée par les témoignages enthousiastes de l’époque sur l’aspect « riant » des campagnes (voir la partie 3. Les fondements culturels). L’apogée de la diversité paysagère de l’île se situe sans doute au tournant des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Elle est révélée par un des témoins de l’époque les plus importants : Bory de Saint-Vincent (voir la partie 3. Les fondements culturels). La carte de Claude Wanquet (1990) sur la situation économique de Bourbon en 1788 précise la répartition de ces diverses cultures sur les pentes extérieures de l’île : le blé et le maïs dominants partout, l’élevage dans les parties basses de l’ouest et du sud, le riz et les légumes sur les mi-pentes, le coton un peu plus haut.
À partir du début du XIXᵉ siècle, le développement de la canne à sucre va progressivement supplanter de nombreuses cultures et contribuer à unifier quelque peu les paysages des pentes cultivées. C’est la perte de l’Ile de France et de Saint-Domingue, entérinée par le Traité de Paris de 1815 signé avec les Anglais, qui pousse la France à développer la culture et l’industrie de la canne sur l’île redevenue « Bourbon » : le pays manque en effet de sucre. Par ailleurs, les cyclones de 1806 et 1807 ont ravagé toutes les plantations ; dans cette reconstruction nécessaire, la canne offre l’avantage d’être plus résistante aux cyclones que bien d’autres cultures, notamment le café. L’île prospère au XIXᵉ siècle grâce à la canne : sa culture exige de la main d’œuvre et des capitaux pour les installations coûteuses de son industrie.
L’immigration indienne tamoule débute dès 1828, vingt ans avant l’abolition de l’esclavage par Sarda Garriga. Les premiers Chinois arrivent à partir de 1844. L’abolition de l’esclavage va accélérer le phénomène.
Ainsi, curieusement, la canne au 19e siècle est en quelque sorte tout à la fois vectrice d’une forme d’uniformisation des paysages culturaux et vectrice d’une forme de diversification des paysages culturels.
Jusqu’à 200 usines sortent de terre dans les années 1830. Elles sont principalement localisées au nord-est et égrenées à l’ouest et au sud.
Il ne reste aujourd’hui que celles du Gol et de Bois Rouge en activité ; mais plusieurs ruines marquent les paysages des pentes basses de l’île par la silhouette de leur cheminée et leurs vieux murs.
Le développement de la canne est tel que dès 1850 s’instaure une dépendance alimentaire extérieure, du fait de l’abandon des cultures vivrières, du blé, du riz, au bénéfice de la monoculture de canne.
Le dernier tiers du 19e siècle voit se dessiner une crise économique avec l’effondrement du cours du sucre ; les causes sont multiples : maladie de la canne attaquée par une chenille, le Borer, développement en Europe de la betterave à sucre, épidémies de choléra puis de paludisme provoquées par l’afflux de l’immigration qui déciment la population, manque de capitaux et de main d’œuvre.
Pour faire face, la diversification est ainsi à nouveau recherchée : production de vanille (on exporte 199 tonnes en 1902), développement du manioc pour faire du tapioca (introduit dès 1736 par La Bourdonnais ; 4000 tonnes de farine exportées en 1909), mais aussi thé, mûrier, coton, paille chouchou, plantes à parfum. Ces dernières sont variées : ylang ylang vers La Possession/Saint-Paul, géranium et vétyver dans les hauts, gardénia et patchouli à La Montagne, mais aussi champac, longose (dont on extrayait une cire servant de base aux parfums), etc. Les belles années des plantes à parfums se situent vers 1930.
Le redressement de la canne s’amorce à partir de 1920 : 40 346 tonnes en 1922, 110 702 tonnes en 1940. Elle s’écroule à nouveau au cours de la deuxième guerre mondiale, les plantes vivrières se substituant à la canne pour assurer la survie de la population : 13 164 tonnes en 1944.
Le redressement sera rapide après la départementalisation, avant de nouvelles difficultés dans les années 1960. La filière canne est sauvée par un plan de modernisation de l’économie sucrière : épierrage, renouvellement des cannes et amélioration génétique, engrais, rationalisation des transports, irrigation, remembrement des terres, concentration et modernisation des usines.
Aujourd’hui, deux cents ans après l’impulsion de son développement, la filière canne – sucre – rhum – bagasse demeure une des activités essentielles de l’île. La culture de la canne occupe 55 % de la SAU et représente près du tiers de la valeur agricole finale. Deux unités sucrières (Le Gol et Bois Rouge) et une douzaine de centres de réception reçoivent et traitent chaque année entre 1 800 000 et 2 000 000 tonnes de cannes. L’usine de Bois Rouge brasse l’ensemble de la récolte de la région dite « au vent » ainsi que les cannes issues du centre de réception du Grand Pourpier (Ouest), tandis que l’usine du Gol traite la production des bassins du Sud (Gol et Grand-Bois) et des plates-formes des Tamarins et Stella Matutina, situées elles dans l’Ouest.
La filière canne à sucre de la Réunion compte au total 2 sucreries, 11 centres de réception (« balances ») et 3 distilleries produisant majoritairement du rhum de sucrerie. Elle emploie 3 200 planteurs. L’année 2015, avec 1 896 104 tonnes (contre 1 763 656 tonnes de canne en 2014), pour une richesse moyenne de 13,28 % (13,91 % en 2014), reste la meilleure campagne après 3 années marquées par des sécheresses successives. Les objectifs de production sont de 2 millions de tonnes (https://daaf.reunion.agriculture.gouv.fr/Canne,105).
Environ 200 000 tonnes de sucre (196 000 t en 2014) en sont extraites pour un quota de 295 000 tonnes dans le cadre de l’OCM sucre. Ces deux unités sont performantes. Elles sont couplées chacune avec une centrale thermique fonctionnant à la bagasse qui produisent une part de l’énergie électrique nécessaire à l’île. Le sucre est le premier produit exporté de l’île (70 % des exportations totales). Par délibération du 22 novembre 2021, le Conseil Régional a voté à l’unanimité une nouvelle motion invitant l’Etat à prendre des engagements sur le long terme pour la filière canne, dans la perspective des négociations sur la future Convention Canne. Le Conseil régional considère que les enjeux de la filière canne sont inséparables du modèle de développement économique, social et environnemental de La Réunion.
Sur les dernières décennies, la surface cannière a fortement diminué, passant de 37 860 hectares cultivés en 1987 à 30 900 en 1993, et à 21 350 ha en 2020 en partie stabilisée grâce notamment à la vaste opération de remise en culture de terres en friche, orchestrée par la Chambre d’Agriculture, la SAFER, la DAF et certaines communes.
Les exploitations de taille moyenne (5.8 ha, Agenda 2021 Chambre d’agriculture de la Réunion) sont majoritaires dans l’île.
Les rendements commerciaux moyens de 75 t/ha sont en progression. Selon les conditions de culture, le rendement varie de 50 à 120 tonnes/ha, sachant que dans les zones les plus favorables, le potentiel peut atteindre les 200 t/ha.
L’activité canne à sucre est la principale source d’emplois de l’agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d’exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations.
Depuis les années 1960, la diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l’élevage.
Cette diversification compose aujourd’hui des paysages récents ou nouveaux, à une altitude égale ou supérieure à celle de la canne. Elle enrichit l’étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l’île (voir l’introduction au présent atlas).
Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d’altitude, entre l’étage de la canne et celui de l’élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, ouverts sur les grands paysages du littoral et des hauts.
La production locale en fruits et légumes répond en 2021 à 70 % des besoins du territoire. La production annuelle s’élève à 30 000 tonnes de fruits et légumes en moyenne. 67 % des produits sont engagés dans une démarche qualité, 7 % sont issus de production biologique.
Les exportations de fruits concernent principalement l’ananas, puis le letchi et le fuit de la passion. En 2021, la production locale de fruits est de 30 305 tonnes, les importations de 20 000 tonnes et les exportations de 3 600 tonnes.
Les légumes sont surtout produits dans le Nord, le cirque de Salazie, les hauts de l’ouest, Saint Joseph et le Tampon où les conditions sont les plus favorables. En 2021, la production locale de légumes est de 16 285 tonnes, les importations de 17 000 tonnes et les exportations de 25 tonnes.
Les principales productions sont les tomates, pommes de terre, choux, laitues, carottes, oignons, pour les légumes, ananas, letchis, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits. Les importations de produits frais représentent 37 000 t en 2021, (dont Fruits : agrumes (50%), pommes (25%), raisins, poires, légumes : ail (10%), oignons (50%), pommes de terre, (20%) carottes (17%).
La filière export a pris un essor ces dernières années avec une progression annuelle de 5 à 10 % par an pour atteindre environ 4 000 tonnes. La filière envisage de doubler les volumes d’ici 10 ans en favorisant l’accès au fret et la mécanisation des productions.
La présence d’une solide filière horticole est essentielle pour agir sur les paysages de l’île, en disposant de la qualité et de la quantité de végétaux nécessaires aux plantationq. Les principales productions horticoles sont les arbres d’ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Cette filière représente 102 ha en 2021 et 272 professionnels fédérés en un syndicat.
Longtemps peu organisée, la filière horticole est en cours de reconstruction avec la création d’une marque collective « Plant’Pei » en 2018 sous l’initiative de l’Union des Horticulteurs et Pépiniéristes de La Réunion (UHPR). La filière doit faire face à des importations massives et des ventes sauvages. Cependant, la spécialisation croissante et une maîtrise technique des horticulteurs valorise les produits de meilleure qualité. Les manifestations à caractère horticole offrent aux exploitants un marché de choix ; la pandémie de Covid 19 a fragilisé la filière du fait de l’impossibilité de vente en période de confinement et l’annulation des manifestations.
Autant d’éléments qui enrichissent les paysages, mais qui sont fragiles car ponctuels et souvent ruinées par défaut d’usages.
Les énormes efforts d’irrigation engagés par le projet ILO (voir le chapitre Les paysages et l’eau douce), ont étendu progressivement les champs de canne sur l’ouest à une altitude basse longtemps réservée au pâturage de zone sèche, déroulant des étendues vertes nouvelles, striées par les bandes sombres d’andains formés par l’épierrage des champs.
À côté de la canne, des cultures diversifiées et spécialisées de légumes, de fruits, de plantes à parfum, dessinent des paysages agricoles radicalement différents. Les parcelles en général petites composent un damier composite qui font de l’ensemble un paysage agricole jardiné. Il marque tout particulièrement le sud, au-dessus de Saint-Pierre/le Tampon vers 1000 m d’altitude, ou plus proche du littoral vers Petite-Ile et Saint-Joseph, la canne se mêlant alors à l’ensemble.
Les paysages de savane sont bien des paysages agricoles et non des paysages « naturels ». Spécifiques de l’Ouest au climat sec et chaud sur les pentes basses, ils sont directement liés à l’élevage, développé dès l’arrivée des hommes sur l’île, entretenu par le feu pour favoriser la repousse vert tendre mangée par les cabris (chèvres) ou les bœufs Moka (zébus). Le passage répété du feu et des animaux a conduit au développement de plantes pyrophytes (qui profitent du feu), notamment de l’Heteropogon contortus. Cette graminée fait presque à elle seule le paysage de savane qui en résulte : elle constitue de vastes étendues lumineuses rousses-orangées en saison sèche, verte en saison des pluies et bronze en saison intermédiaire : des paysages uniques qui concourent fortement à la diversité contrastée des paysages de l’île, valeur fondatrice de La Réunion comme évoqué dans le tableau d’ensemble au début du présent atlas. Ils sont enrichis par les silhouettes de quelques arbres résistants aux dures conditions de sécheresse qui règnent : notamment le bois noir (Albizzia lebbeck).
Les paysages de savane sont en voie de disparition depuis plusieurs décennies, mangés par l’urbanisation et par les mises en culture rendues possibles par l’irrigation. Ce sont des paysages fragiles, qui exigent de grandes surfaces entretenues pour être valorisants : lorsqu’ils se réduisent à quelques arpents pris entre deux secteurs habités, ils prennent l’image d’une friche peu valorisée ; lorsqu’ils sont abandonnés par le pâturage et non incendiés, ils s’arment, gagnés par les touffes de chokas ou les fourrés denses et épineux du Zépinard (Prosopis juliflora), ce dernier peu attractif par sa couleur grisâtre et son caractère piquant impénétrable. On le voit en particulier entre la Grande Ravine et Saint-Leu, sur les pentes basses des Colimaçons et la Pointe des Châteaux.
C’est pourquoi les savanes tendent à être préservées au moins sur les deux grands caps de l’Ouest : le Cap La Houssaye d’une part et le Pointe au Sel d’autre part.
La « nature jardinée » a été identifiée dans « Paysage Côte Est » (Bertrand Folléa, Océan éditions, CAUE 1990, cf. onglet DOCUMENTATION), qualifiant ainsi les paysages de la côte de Saint Benoît, Sainte-Rose, Saint-Philippe, formés par les cultures arborées mêlées qui accompagnent les cases égrenées au fil de la RN 2 : vergers plantureux plantés de letchis puissants, d’agrumes ronds et de bananiers aux verts lumineux, de vacoas étranges porteurs de vanille, de palmistes gracieux, d’arbres à pain vernissés et élégants, et de bien d’autres espèces généreuses ; autant d’essences magnifiques par leurs formes, souvent mêlées les unes aux autres, plus épanouies que partout ailleurs du fait d’un climat chaud et humide favorable, l’ensemble constituant une nouvelle facette particulièrement originale du kaléidoscope agricole de l’île. Outre la côte est, on retrouve la nature jardinée çà et là autour de l’île, sur la côte sud ou à la faveur des conditions favorables, humides et abrités des vents, rencontrées en fonds de certaines ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin, etc).
Les espaces agricoles développés dans les cirques, et notamment perchés sur les étroits « replats » formés par les îlets, contribuent à la valeur paysagère des hauts : ils tempèrent la rudesse des puissantes pentes ravinées qui marquent les horizons de toutes parts, soulignent la présence des hommes dans des conditions naturelles improbables, révèlent et donnent à lire des sites étonnants. Ils proposent des paysages familiers et domestiques qui renforcent l’aspect oasis des îlets, en contrepoint des vastes étendues naturelles ou boisées alentours. Ils contribuent aussi à la diversité et à l’agrément des paysages de l’île en soulignant les spécificités propres à certains secteurs : le chouchou à Salazie, la vigne et la lentille à Cilaos, le cresson dans le fonds des ravines en eau (rivière du Mât, rivière Langevin…), etc.
Globalement l’agriculture prend place principalement entre l’urbanisation littorale et les forêts ou espaces naturels d’altitude, sur les longues pentes extérieures de l’île, entre 0 et, selon les pentes, 400, 800 ou 1200 m d’altitude. De ce fait, elle est en concurrence directe avec la pression du développement de l’urbanisation d’habitat et d’activités, des infrastructures et des équipements, principalement concentrés sur les 800 premiers mètres d’altitude. La SAU a d’ailleurs diminué de 53 200 ha en 1980, à 43 700 ha en 2000 et à moins de 39 000 ha en 2020. Chaque année, l’urbanisation consomme 500 ha de terres agricoles : soit l’équivalent de 3 terrains de football par jour tous les jours…
Cette situation se lit aujourd’hui dans le grand paysage, avec une présence presque systématique du semis d’urbanisation blanche piquant les étendues vertes agricoles, dans une imbrication parfois très étroite et complexe. Partout où porte le regard, le bâti est largement présent dans le grand paysage agricole ; il faut cadrer serré pour échapper à la présence des constructions. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, les paysages agricoles de La Réunion sont de fait presque partout périurbains, et les logiques de développement ne peuvent ignorer les concepts d’agriculture périurbaine et urbaine.