Les fondements naturels et anthropiques

Les paysages et les climats

Conjuguées à l’importance des reliefs, les données climatiques contribuent de façon majeure à la diversité et aux contrastes de l’île.
Les paysages et les climats : cartographie - Agence Folléa‑Gautier © 2023
L’arrivée des nuages sur les hauts de la rivière des Remparts, fin de matinée (Photo : Jean de Tombeur).

Côte au vent, côte sous le vent : l’importance des vents et de la pluie dans le façonnage des paysages de l’île

C’est par une différence marquée entre une côte au vent très arrosée et une côte sous le vent très sèche que se façonnent des paysages étonnamment contrastés à La Réunion. Aussi est-il nécessaire de comprendre l’origine de ces précipitations si irrégulières dans l’espace, liées au jeu des vents. Cette compréhension est d’autant plus nécessaire à La Réunion que le jeu des nuages est souvent un vrai spectacle qui fait indissociablement partie des paysages que l’on observe.
Trois types de vents conjuguent leur énergie pour répartir de façon très inégale les précipitations : les brises de mer/terre, les brises de pentes et les alizés.
La conjugaison de ces trois types de vents organise de façon caractéristique le cycle de l’eau sur une journée à La Réunion :
Finalement, la côte au vent, à l’Est, directement soumise aux alizés, présente une pluviométrie très importante quelle que soit la saison. La côte sous le vent, à l’Ouest, protégée par les reliefs de l’île, est à l’abri des alizés. Le climat y est beaucoup moins humide, les régimes de brise sont prédominants. Entre Est et Ouest, les différences de précipitations sont caricaturales. Sur un mois plusieurs mètres d’eau peuvent tomber sur la côte Est alors que pas une goutte ne tombera sur la côte Ouest.
Le site impressionnant de Takamaka, qui bat les records mondiaux de pluie (Photo : Jean de Tombeur).
À l’est, deux zones sont particulièrement arrosées : la région de Takamaka (7 m/an) et tout l’est du volcan ou l’on enregistre les valeurs les plus élevées (plus de 11 m/an sur les Hauts de Sainte-Rose). L’île possède tous les records mondiaux de pluies pour les périodes comprises entre 12 heures et quinze jours. Par exemple, lors du cyclone Hyacinthe en janvier 1980, il est tombé : 1,17 m d’eau en 12 heures à Grand Ilet le 26, 6,08 m d’eau en 15 jours à Commerson entre le 14 et le 28.
Les couleurs chaudes de la côte sous le vent, ici à Piton Saint-Leu.
La savane en train de « s’armer », photo octobre 2006.

À l’ouest, c’est sur le littoral qu’il pleut le moins, en particulier autour de Saint-Gilles-les-Bains (525 mm/an). La pluie peut être absente pendant plusieurs mois et tomber ensuite en abondance sur une courte période à la suite du passage d’une dépression ou d’un cyclone. La rareté de ces précipitations a donné lieu à un milieu sec qui enrichit le kaléidoscope des paysages de l’île : la forêt sèche à benjoins et lataniers, à peu près disparue, et la savane, entretenue par le pâturage et les feux ; c’est un paysage fragile, en voie de disparition du fait de l’urbanisation, de l’irrigation des terres et de la baisse de l’élevage provoquant des enfrichements de Prosopis ou Zepinard (Prosopis juliflora. Cet arbuste, originaire du Mexique et du nord de l’Amérique du Sud est maintenant naturalisé dans nombre de zones sèches des régions tropicales. Il a été introduit à La Réunion depuis Hawaii en 1913 pour nourrir le bétail avec les gousses. Ses rameaux sont garnis d’épines foliaires redoutables). La pluviosité augmente au fur et à mesure que l’on s’élève. On note ainsi, par exemple, un petit noyau pluvieux au niveau de la plaine des Makes (2 m/an).

Pour un secteur donné, quand on s’élève du littoral au sommet de l’île, les foyers de précipitations les plus intenses sur l’île, se rencontrent aux altitudes intermédiaires, entre 1000 et 2000 mètres : Plaines des Makes, Petite France, Takamaka, Hauts de Sainte-Rose et Forêt de Saint-Philippe. Ils favorisent le développement de la forêt.

La plage de l’Ermitage-les-Bains, abritée par le récif frangeant, 2022 (Observatoire photographique des paysages).
Le littoral rocheux sauvage vers Grand-Bois, côte sud.

L’écart climatique entre l’est et l’ouest contribue de façon essentielle à la diversité contrastée des paysages littoraux ; il explique pourquoi le « lagon » et les plages de sable blanc, issues des coraux du récif frangeant, se concentrent à l’ouest : il faut des conditions climatiques précises pour que le corail se développe, qu’il trouve sur la côte ouest ensoleillée et plus abritée ; à l’est, les vagues atteignent directement la côte, offrant un spectacle de jaillissement d’écume plus sauvage et non moins beau : radicalement contrasté.

Depuis le XXᵉ siècle et le développement du tourisme balnéaire, le soleil de l’ouest — couplé à la présence des plages baignables — explique largement pourquoi le poids de population a basculé en faveur de la côte occidentale de l’île, après des premiers développements plutôt concentrés au nord-est plus fertile. Les aménagements : création du Port, implantation d’hôtels, irrigation du littoral Ouest (ILO), route des Tamarins… renforcent cet héliotropisme (voir le chapitre Les paysages, l’urbanisation et les infrastructures).

Le soleil et la nébulosité : paysages des hauts, paysages des bas

Au-dessus de la mer de nuages, route du Volcan.
Nuages sur les flancs de la rivière des Remparts.
La nébulosité contribue à différencier les paysages des hauts, des mi-pentes et des bas. L’importance des nuages accrochés aux reliefs de l’île confère une part de la personnalité des paysages des hauts, lumineux en début de matinée puis voilés dans les nuages le restant de la journée. Le contraste climatique radical entre ces heures du jour donne une valeur toute particulière aux lumières du matin, d’autant plus belles et appréciables qu’on les sait fugaces. Dans les hauts de La Réunion, le grand paysage appartient à celui qui se lève tôt.
Forêt de Bébour, forêt des nuages.
Mais la nébulosité est créatrice d’ambiances bien particulières qui font une part de la valeur des paysages de forêt, notamment de forêt primaire. On parle d’ailleurs joliment de « forêts des nuages ». La brume qui les nimbe contribue à la création d’un paysage mystérieux, paradis végétal foisonnant et évanescent, qu’elle rend possible par l’humidité qu’elle distille délicatement, et dont témoignent les plantes épiphytes : un paysage fantastique de début du monde se devine, un voyage dans le temps autant que dans l’espace.
La barrière nuageuse des hauts en fin de matinée, vue depuis Saint-Louis.
Habituellement le plafond nuageux s’établit environ à 900m d’altitude, marquant la limite entre hauts et mi-pentes ; l’ombre portée du plafond nuageux sur les pentes contribue à distinguer les mi-pentes des bas : le littoral reste ensoleillé, alors que les mi-pentes se retrouvent à l’ombre des nuages ; sur l’ouest, il faut attendre le soir, avec un soleil bas sur l’horizon, pour que les mi-pentes soient à nouveau caressées par le soleil. Dans les Hauts, il n’est pas si rare que les plus hauts sommets se retrouvent la tête au soleil en fin d’après-midi, tandis que la nappe nuageuse blanche et dense se maintient en contrebas.
Arc-en-ciel au contact du soleil et des nuages, dans les mi-pentes de l’ouest .
Le jeu permanent des nuages et du soleil fait de La Réunion un haut-lieu d’arcs-en-ciel. Ils contribuent fugacement mais fréquemment à la beauté des paysages, apparitions quelque peu mystérieuses et surnaturelles dans leur géométrie ronde parfaite. Plus anecdotique mais symptomatique : ce jeu rend indispensables les parapluies qui, selon l’humeur du temps, protégeront de la pluie ou du soleil. Leur floraison colorée fait partie du paysage habité et vivant de La Réunion.

Les reliefs, la température
et l’étagement des paysages

Le climat de La Réunion est caractérisé par la douceur de ses températures. La position géographique de l’île, ni trop près ni trop loin de l’équateur, et surtout le rôle régulateur de l’océan et des alizés, sont les principales causes de cette douceur.

Aussi l’amplitude thermique est assez faible entre la saison fraîche, de mai à octobre, et la saison chaude, de novembre à avril : elle n’excède pas 10°C pour un lieu donné.

C’est surtout la décroissance des températures avec l’altitude qui favorise la diversité des paysages. Le long des pentes de l’île, le gradient thermique varie de -0,7 à -0,8°C pour 100 m. Comme le relief est très accentué sur l’île, les isothermes suivent le plus souvent la carte hypsométrique, participant, avec les précipitations, à l’organisation étagée des paysages, en strates altitudinales successives.

Période sèche et fraîche, période chaude et humide : les saisons et les paysages

Période sèche et fraîche, période chaude et humide : les saisons et les paysages.
La Réunion a la chance de bénéficier d’une saisonnalité, qui rythme le cycle annuel entre la saison des pluies, de janvier à mars, et la saison sèche de mai à novembre. Les mois de décembre et d’avril, également bien arrosés, sont intermédiaires.
Le parc boisé du Port en hiver.
Savane du Cap La Houssaye, de couleur bronze en avril.
Cette alternance des saisons des pluies et des saisons sèches anime les paysages de l’île. Elle est particulièrement sensible sur l’ouest, où une partie de la végétation des bas perd ses feuilles ou jaunit en saison sèche, marquant l’hiver austral : c’est le cas par exemple d’Albizzia lebbeck, le Bois Noir, effeuillé et couvert de gousses sèches et jaunes en hiver, puis vert tendre en été ; du flamboyant, qui fleurit rouge de façon spectaculaire à Noël, en début de saison des pluies, lorsque ses feuilles commencent à repousser ; des fourrés épineux de Prosopis ou zépinards, également caducs, de la graminée Heteropogon contortus, qui couvre les étendues de savane, variant du vert tendre pendant la saison des pluies à l’orangé flamboyant en pleine saison sèche, en passant par le bronze.
Platanes hivernaux le long de la RN 3, Plaine des Palmistes.

On lit bien également les changements de saison en altitude, lorsque des plantes caduques de climat tempéré, introduites, parviennent à boucler leur cycle de quatre saisons : les platanes des bords de route, les hortensias des jardins, etc.

Dans l’Est, les saisons sont tranchées de façon moins sensible. Même si l’on parle de saison « sèche », il pleut tout de même plus de 700 mm sur le volcan au cours du mois le moins arrosé : soit plus qu’à Paris en une année ! En revanche les saisons des fruits contribuent à rythmer agréablement le cours du temps : les letchis de Noël, les goyaviers de juin, etc.

Le manteau riche et complexe de la canne en août, avec la toile de fond du Piton des Neiges. Vue depuis la RN 2 sur les pentes de Sainte-Suzanne/Saint-André.

Mais partout la canne rythme les saisons et contribue aux variations des paysages dans le temps : champs blafards en fin de saison sèche, après la coupe, bien vite reverdis aux premières pluies ; champs pleins et verts lumineux tout le reste de l’année, laissant des vues dégagées en début de pousse, puis noyant l’observateur lorsqu’elle atteint sa maturité en fin de saison des pluies ; champs allumés par la soie mauve des fleurs qui accroche magnifiquement la lumière du soleil, etc.

L’étalement de la saison de la coupe, de juillet à novembre, contribue à enrichir les paysages en faisant se côtoyer des champs d’aspect divers et bigarrés.

Le régime cyclonique, facteur limitant
pour la qualité paysagère de l’île

Globalement, par les destructions qu’il opère, le régime cyclonique de la Réunion, est un facteur limitant de la richesse paysagère de l’île. Outre les dégâts lisibles directement après son passage sur le bâti, le végétal et les infrastructures, il a deux conséquences plus pérennes qui expliquent une partie de la configuration particulière des paysages de l’île :
La rivière Saint-Etienne, naissante à la confluence du Bras de la Plaine et du Bras de Cilaos. Vue prise du pont de la RD 26 vers Bois d’Olives, en fin de saison des pluies (avril).
Grands Bois Noirs, parc de la Providence à Saint-Denis (ONF) : une situation fraîche et très abritée en pied de pente, qui permet la croissance de grands arbres, situation rarissime à La Réunion.
Un gracieux bouquet de cocotiers dans les pentes agricoles de Saint-Louis.
Au final, dans les bas, ce sont les cocotiers qui dominent la strate arborée de leurs élégantes silhouettes, fines et souples, bien adaptées aux cyclones ; dans les hauts, les tamarins enchevêtrés les uns aux autres, mêlés aux bois de couleurs et colonisés par les épiphytes, composent ce paysage très particulier de la forêt primaire de Bébour-Bélouve, à la fois basse et dense ;
Une petite coulée de boue sur les flancs de la rivière des Remparts, au-dessus des habitations.

Les cyclones et les grosses dépressions sont destructeurs par la puissance des vents et parfois aussi par l’importance des précipitations. Ces pluies torrentielles provoquent inondations, coulées de boue et glissements de terrains. Elles sont renforcées par la force du relief. À La Réunion, cet aspect donne une importance considérable aux pluies qui atteignent tous les records. Les cyclones sculptent ainsi les spectaculaires reliefs ruiniformes de l’île, et les pluies sont leur bras armé.

Le changement climatique,
nouveau défi pour La Réunion

La Réunion n’échappe évidemment pas au dérèglement climatique mondial lié aux émissions massives de gaz à effet de serre. Depuis 50 ans, les températures moyennes y ont augmenté de près de 1 degré, avec un réchauffement de l’ordre de 0,18 ° C par décennie. Cette évolution est du même ordre qu’au niveau mondial. Ce réchauffement se situe bien au-delà du seuil de 0,12 ° C fixé par l’accord de Paris sur le climat de 2015. En l’absence de politiques fortes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre telles que prévues par les États signataires des accords de Paris, les températures pourraient encore augmenter d’environ 3 ° C à La Réunion d’ici la fin du siècle, selon Météo-France. Le réchauffement climatique aura probablement pour conséquence des pluies moins fréquentes mais plus intenses [Météo-France, 2019]. Pendant l’été austral, les précipitations pourraient augmenter de 10 à 20 %, tandis qu’elles baisseraient significativement pendant l’hiver austral, jusqu’à -30 % localement. Les contrastes saisonniers seraient donc de plus en plus marqués, tout comme les contrastes entre la zone au vent et la zone sous le vent. De manière générale, La Réunion serait plus exposée aux épisodes climatiques extrêmes (sécheresses, fortes pluies ou cyclones) qui devraient être plus fréquents ou plus intenses. D’où l’urgence paysagère double :

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